
Dans le département ultramarin français, les jardins créoles racontent la résistance d’une culture et la possibilité d’un avenir plus autonome. Héritiers d’un savoir ancestral, ces îlots sont un modèle d’agroécologie, porté par des femmes.
En Guadeloupe, le jardin créole s’impose comme un véritable concentré de vie et de mémoire. Héritier d’une histoire marquée par la résistance et la transmission, il rassemble une diversité de plantes alimentaires, médicinales et ornementales, témoignant du savoir-faire d’un peuple qui a su préserver ses racines face à l’adversité. Bien plus qu’un simple potager, le jardin créole incarne un art de vivre.
Un héritage forgé dans la résistance
Nés à l’époque de l’esclavage, les jardins créoles sont d’abord des espaces de survie et de liberté. Les esclaves, puis leurs descendants, y ont mêlé des savoirs venus de plusieurs continents pour composer un écosystème unique, adapté aux besoins de la famille et aux contraintes du climat. Autour de la case, chaque parcelle devient une harmonie savamment orchestrée où se mêlent ignames, maniocs, bananiers, arbres fruitiers, plantes médicinales et aromatiques.
Près de 180 ans après l’abolition de l’esclavage, ces jardins perpétuent la mémoire d’une histoire douloureuse, mais aussi la force d’une culture qui s’est sans cesse réinventée.
Le jardin créole, matrice de la biodiversité et de l’autonomie
À l’heure où la Guadeloupe s’interroge sur la préservation de son environnement, le jardin créole apparaît comme un modèle d’agroécologie. Sur un espace réduit, il accueille parfois plus d’une centaine d’espèces, mêlant cultures vivrières, médicinales et ornementales dans une mosaïque foisonnante. Ici, pas de pesticides ou d’engrais chimiques : la fertilité vient du compost, la santé des plantes repose sur l’association et la rotation des cultures. Ce jardin, à la fois potager, pharmacie et réserve de biodiversité, offre une alternative concrète à l’agriculture intensive et à la pollution des sols.
Le jardin créole incarne aussi un espoir d’autonomie, dans un territoire où la majorité de l’alimentation est importée et où la problématique de la vie chère est plus importante encore qu’en métropole. Un souffle nouveau anime ces jardins et il est porté par les femmes.
Femmes de savoirs et de transmission
Longtemps gardiennes invisibilisées de ces savoirs, les femmes guadeloupéennes sont désormais les actrices d’un renouveau qui mêle tradition et innovation. Parmi elles, Chantal Labylle rappelle combien le jardin est un espace d’émancipation, de partage et de solidarité. En 2019, avec deux amies, elle crée l’association Bwa Kapab.
Avec la nature, on a essayé de voir comment on pourrait accompagner les familles autrement. - Chantal Labylle
Grâce à son association, des femmes en situation de précarité retrouvent confiance et autonomie en cultivant la terre, renouant avec une tradition qui soigne autant le corps que l’âme. Le jardin devient un lieu de "koudmen", ce coup de main solidaire où l’on s’entraide, où l’on échange des semences et des histoires, où chaque génération transmet à la suivante le goût du vivant et le respect de la nature.
Chantal Labylle a décidé d’orienter ses actions vers l’agriculture urbaine : alors que 80% de la population guadeloupéenne vit en ville, elle a créé un programme d’agriculture urbaine pour que chaque interstice de nature, cour, balcon ou jardinière, devienne lieu de culture. Pour Chantal Labylle, l’objectif est de permettre aux citadins de "se nourrir sainement, de les sensibiliser, mais aussi de les aider à recréer ce lien social qui un peu se perd ou se dissout aujourd'hui".
C’est dans cette dynamique collective que s’invente, jour après jour, une Guadeloupe plus résiliente et plus solidaire. Les jardins créoles sont la promesse d’un avenir enraciné dans la diversité et la transmission d’une identité forte.
En septembre 2025, Chantal Labylle et cinq autres femmes de savoirs soutenues par l’association En Terre Indigène seront présentes à Paris pour l’événement Les Rencontres du Matrimoine Ultramarin, du 20 au 28 septembre, organisé dans le cadre du projet De la Mère à la Terre. Cet événement exceptionnel offrira l'opportunité d’échanger autour des jardins créoles et de découvrir des savoirs ancestraux et des nouvelles formes de production et consommation durable dans différents territoires d’Outre-mer.
Découvrez un extrait du documentaire "Les jardins créoles en Guadeloupe" :
Pour en savoir plus :
- Les Rencontres du Matrimoine Ultramarin du 20 au 28 septembre à Paris.