Depuis 2019, Félix Billey parcourt la France à bord d’un drôle d’engin qu’il a conçu lui-même : un vélo-canoë qui tracte sa minuscule maison. À ses côtés, une compagne improbable l’accompagne : une poule rousse prénommée Chépa. Leur aventure à contre-courant a donné naissance à un documentaire, “J’habite en voyage”, petit bijou de lenteur et de poésie.
Le quotidien de Félix n’a rien d’ordinaire. Ce jeune ingénieur trentenaire sillonne depuis cinq ans les routes de France. Construit de ses mains, son véhicule est un assemblage aussi ingénieux que poétique. Un vélo couché, glissé dans la coque d’un canoë, équipé de roues à pales pour passer de l’eau à la terre ferme. Derrière, une minuscule cabane en bambou, suffisamment légère pour rouler, assez isolée pour y dormir en hiver. À l’intérieur, un matelas, un petit poêle à bois et quelques livres. Sur le toit, souvent, une poule. Elle s’appelle Chépa. Son allure de radeau échappé d’un rêve d’enfant attire la curiosité partout où il passe.
Un manifeste pour voyager et vivre autrement
Depuis son départ de Besançon, en 2019, Félix a traversé le Jura, la Savoie, la Suisse, le Massif central, les bords de Loire… Sa vitesse — 8 km/h en moyenne — l’oblige à emprunter les routes secondaires et les sentiers buissonniers. Chépa, sa fidèle gallinacée, y trouve aussi son compte : elle picore, se repose dans la cabane ou se perche sur son épaule.
C’est le hasard, la météo, les rencontres qui dictent les étapes. Félix descend les rivières en canoë, gravit les cols à la force des mollets, dort dans les forêts ou dans les jardins de ceux qui l’accueillent. Il vit en échangeant, en partageant, en parlant. Il joue parfois de la musique. Chépa pond des œufs.
L’histoire pourrait sembler farfelue, si elle ne révélait pas une réflexion sur nos modes de vie. Lassé d’un avenir tout tracé, Félix a choisi de prendre la route. Lentement. Sans moteur, sans itinéraire, sans horaire. “Ce que je fais, ce n’est pas du tourisme. C’est habiter autrement.”, dit-il calmement, installé devant les montagnes du Vercors, sa poule endormie à ses pieds.
Un road-movie champêtre
De cette itinérance, Félix a tiré un documentaire réalisé par Matthieu Fournier, “J’habite en voyage”, projeté pour la première fois en 2024 dans quelques festivals. Sans voix off ni musique superflue, le film laisse place aux bruits du monde. On y voit Félix réparer son attelage, partager une soupe avec des inconnus, écouter le silence au bord d’un lac. Et Chépa, toujours là, symbolise la fragilité, le lien au vivant le plus ordinaire. C’est un personnage à part entière qui désamorce les tensions, attire les regards et provoque les sourires
Le film montre un homme habité par une immense douceur, une forme de sagesse naïve et lucide, qui interroge notre rapport au temps, à la nature, aux autres et à la norme. Et surtout, il nous invite à redonner sens à des choses oubliées : la lenteur, l’hospitalité, la tendresse.
On m’a souvent dit que c’était radical. Je ne le vis pas comme ça. Je voulais simplement faire l’expérience du moins, du simple.
- Félix Billey
Chaque hiver, il rentre en stop à Besançon pour voir sa famille, puis reprend la route. “Le seul risque, c’est que ça devienne une routine. Je veux garder cette fraîcheur de ne pas savoir où je vais dormir le soir.” Et demain, justement ? Où compte-t-il aller ? Félix hausse les épaules, Chépa gratte la terre. La réponse, comme souvent, tient en un mot : "Chépa".