Tourisme durable

Le lasotè en Martinique : l'entraide pour un avenir agricole plus durable

03 Septembre 2025 - Biodiversité / Culture / Initiatives / Nature / Patrimoine

Dans le territoire d’Outre-mer français, des femmes et des hommes se réapproprient cette pratique agricole spectaculaire et riche de valeurs.

Située au cœur de la mer des Caraïbes, la Martinique est une île des Petites Antilles et un département d'Outre-mer français. Près d'un tiers du territoire est consacré à l'agriculture et notamment à la production de la banane. Mais à l’heure du scandale de la pollution au chlordécone, le lasotè, précurseur de l’économie sociale et solidaire, renaît et entraîne de nouvelles dynamiques…
 

Paysage de la Martinique © Association En Terre Indigène



La Martinique et son agriculture

Bénéficiant d'un climat tropical, la géographie de la Martinique est marquée par l'imposant volcan de la Montagne Pelée au nord, tandis que le sud est caractérisé par des mornes et des plaines. L’île abrite une biodiversité remarquable, aussi bien sur terre que dans ses eaux. L'agriculture constitue un secteur économique majeur de la Martinique, fortement ancré dans l'histoire et le paysage de l'île. La canne à sucre est majoritairement destinée à la production de rhum agricole, tandis que la banane est la première culture d'exportation de l'île.

Le secteur agricole fait aujourd’hui face à plusieurs défis : la difficulté de subvenir aux besoins de consommation locaux, le vieillissement de la population agricole, l'accès au foncier, la vulnérabilité aux aléas climatiques... Le problème des résidus de chlordécone dans les sols représente enfin un enjeu environnemental et sanitaire majeur : la toxicité de ce pesticide utilisé pendant plus de vingt ans pour la culture des bananes a entraîné une pollution massive et persistante des sols.

 

Tambours accompagnant le lasotè © Association En Terre Indigène

 



Le Lasotè hier…

Lors de l'abolition de l'esclavage en Martinique, en 1848, un grand nombre de paysans n'ont eu d'autre choix que de s'installer sur des terres pentues et accidentées, rendant impossible l'usage d'outils de labour comme la charrue. Face à cette contrainte, ils ont développé une organisation communautaire du travail. Depuis, solidarité et partage sont au cœur de cette pratique.

Le lasotè, littéralement partir "à l'assaut de la terre", a existé en Afrique avant l’esclavage et a même été retrouvé sur le continent américain, dans les champs de coton. La méthode repose sur l’entraide entre plusieurs agriculteurs qui œuvrent collectivement sur une portion de terrain. L'effort physique partagé est soutenu par les rythmes de percussions. Cette pratique a longtemps été populaire en Martinique avant de tomber en désuétude dans les années 1960 et 1970, en partie en raison de l'avènement de l'agriculture moderne, mais aussi à cause d'une dévalorisation des héritages culturels afrodescendants.


Dans la petite commune de Fonds-Saint-Denis, au pied de la montagne Pelée, les anciens en ont pourtant gardé la mémoire…

 

Paysage de la Martinique © Association En Terre Indigène



Et aujourd’hui !

Annick Jubenot est la fondatrice de l’association Lasotè. Formée en ingénierie, Annick a découvert pour la première fois les principes de l'entraide agricole au Burkina Faso, où son père, hydrologue, travaillait dans le cadre de la coopération. En 2004, après le décès de sa grand-mère, ses visites à Fond-Saint-Denis sont plus fréquentes. C’est de ce territoire couvert à 97% par la forêt et face à la Montagne Pelée que sont originaires trois de ses grands-parents. Elle réalise alors que les fondements du "lasotè" sont encore vivaces et conservés par les aînés de la communauté.

Le lasotè, c’est une façon de vivre. C’est plus qu’une pratique agricole, c’est une philosophie de vie, c’est le respect la nature. - Annick Jubenot

Après des années d’enquête auprès des anciens, le premier lasotè se tient en 2008. Les valeurs d’antan sont toujours véhiculées, comme en témoigne Annick : "le lasotè, c’est la culture de l’entraide. Un esprit de solidarité, de partage, de respect."

 

Annick Jubenot © Association En Terre Indigène


Depuis, cette pratique a pris de l’ampleur : des lasotès sont organisés désormais tous les deux ou trois mois et les agriculteurs sont appelés par les communes pour en organiser. Fidèle à ses origines, plus qu’une seule pratique d’agriculture, le lasotè est une manière d’habiter le monde. Annick a même réussi à faire inscrire ce savoir sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là : les lasotès se conjuguent aujourd’hui au féminin. Historiquement, en raison de son exigence physique, le lasotè était principalement une activité masculine, les épouses se chargeant des tâches moins ardues. Aux côtés de l’association Lasotè, les femmes sont devenues les figures centrales de son renouveau et les principales actrices de sa transmission. Au printemps 2024, l’association a même organisé le premier lasotè exclusivement féminin… 
 

Lasotè féminin © Association En Terre Indigène


En septembre 2025, Annick Jubenot et cinq autres femmes de savoirs soutenues par l’association En Terre Indigène seront présentes à Paris pour l’événement Les Rencontres du Matrimoine Ultramarin, du 20 au 28 septembre, organisé dans le cadre du projet De la Mère à la Terre. Cet événement exceptionnel offrira l'opportunité d’échanger avec Annick Jubenot autour du lasotè et de découvrir des savoirs ancestraux et des nouvelles formes de production et consommation durables dans différents territoires d’Outre-mer.

 

Découvrez un extrait du documentaire "Le renouveau de la tradition du Lasotè en Martinique" :



Pour en savoir plus : 
- Les Rencontres du Matrimoine Ultramarin du 20 au 28 septembre à Paris.

- La plateforme d’échanges de savoir De la Mère à la Terre, portée par l’association En Terre Indigène.