À 2 335 mètres d'altitude entre deux volcans se trouve une douce métropole qui s'étire au milieu du désert. Une oasis inespérée au pied des Andes construite au XVIe siècle par les conquistadors espagnols : Arequipa. Derrière ses murs immaculés se cache une ville vibrante et inattendue.
Arequipa se laisse d’abord approcher par ses façades blanches de sillar, cette pierre volcanique claire qui lui a valu le surnom de "ville blanche". Dans le centre historique, la vie s’anime autour de la plaza de Armas, ses arcades, sa cathédrale aux deux clochers, ses palmiers. De l'église de la Compañia au couvent Santa Catalina, la cité dévoile ses richesses architecturales inscrites au patrimoine mondial de l'Unesco. La deuxième ville du Pérou mérite qu’on s’y attarde, qu’on flâne dans ses rues, qu’on admire le panorama sur ses volcans, qu’on goûte à sa gastronomie unique afin de saisir tous ses contrastes !
Explosion de vie, de couleurs et de saveurs
En 2019, l’Unesco reconnaît Arequipa comme "ville créative de gastronomie", soulignant l'importance de ses traditions culinaires avec ses picanterías, des restaurants traditionnels tenus par des femmes de génération en génération depuis le XVIIe siècle. Cependant, la survie de ses tavernes familiales est menacée par la modernisation et les changements dans les habitudes de consommation. On en comptait 2000 en 1900 ; aujourd’hui, il en resterait environ 80 en ville. On y mange toujours dans une ambiance conviviale la spécialité locale : le rocoto relleno, un piment aux allures de poivron, farci à la viande et servi avec un gratin de pommes de terre, et un verre de chicha morada, boisson rafraîchissante à base de maïs violet.
Située entre la côte Pacifique, les Andes et le bassin amazonien, Arequipa est réputée pour sa cuisine métissée, d’une diversité extraordinaire. Sous une immense charpente métallique, le marché San Camillo regorge de fruits et de pommes de terre de toutes les couleurs, de viande, de poisson et d’herbes médicinales. On vient goûter un jus de papaye ou acheter une tisane censée guérir le mal d’amour. San Camilo n’est pas seulement un marché : c’est le théâtre de la vie quotidienne. Pour les voyageurs curieux, c’est aussi le meilleur endroit pour comprendre la face populaire de la ville, bien loin de l’image figée des monuments coloniaux.
Silence de pierre et mémoire oubliée
Changement radical d’ambiance en franchissant les portes du monastère de Santa Catalina. Fondé en 1579, ce couvent de 20 000 m² est un labyrinthe de ruelles, de patios fleuris et de maisonnettes colorées. Derrière ces murs épais se dessine une autre histoire : celle de femmes puissantes qui dirigeaient une communauté autonome, régie par ses propres lois, presque coupée du clergé masculin, et abritant jusqu’à 500 pensionnaires : nonnes, servantes et esclaves. Le nom des nonnes les plus illustres - la plupart issues de l'aristocratie de la ville - demeure gravé à l'entrée des cellules, ou plutôt des suites avec salon meublé, cuisine et jardinet !
Flora Tristan, femme de lettres, penseuse féministe et militante socialiste française du XIXe siècle, voyage à Arequipa en 1833 en quête de reconnaissance par sa famille paternelle. Au-delà de son histoire personnelle tragique, son voyage au Pérou est une aventure hors du commun. Elle foule le sol aride du sud du pays à dos de mule à une époque où aucune femme ne voyageait seule et où les routes n’existaient pas encore ! Elle découvre une cité exubérante de beauté et de traditions, mais aussi très inégalitaire. Derrière les murs du couvent de Santa Catalina, elle s’étonne du faste des lieux et dénonce le train de vie et la légèreté des religieuses.
Son récit "Pérégrinations d'une paria" offre un témoignage fascinant du Pérou postcolonial. Pour la première fois, une femme critique les injustices sociales et libère la parole féministe. Si Arequipa ne lui consacre que peu de lieux visibles, sa pensée plane, discrète mais puissante, dans cette ville où cohabitent grandeur coloniale et effervescence populaire.