L’abattis est au cœur des traditions ancestrales des Amérindiens Kali’na de Guyane. Cette pratique de la culture sur brûlis se réinvente aujourd’hui.
Territoire de plus de 80 000 km² planté au nord-est de l'Amérique du Sud, la Guyane est un carrefour de civilisations abritant une population d'une grande diversité. Les Amérindiens sont les premiers occupants de cette zone, s'y étant établis environ cinq siècles avant notre ère. Sur les 300 000 habitants de Guyane, 5% seulement sont aujourd’hui amérindiens, répartis en six peuples autochtones. Si leurs aïeux étaient nomades, la majorité a opté pour une vie sédentaire.
Dans la région du plateau des Guyanes (Bolivie, Guyana, Suriname, Guyane, Amapa), les Kali’na constituent le peuple le plus important avec 26 000 individus. Les Kali’na représentent la population amérindienne la plus nombreuse de Guyane avec environ 4 000 personnes qui vivent principalement sur le littoral. Beaucoup se mobilisent pour la reconnaissance de leurs droits et la vitalité de leurs coutumes.
Un combat pour la Terre
On trouve cinq villages amérindiens dans le nord-ouest de Cayenne, dont celui de Bellevue, situé sur le littoral, entre Cayenne et Saint-Laurent-du-Maroni. C’est là-bas qu’en 1997, Cécile Kouyouri a marqué l'histoire en devenant la première Amérindienne élue cheffe coutumière de Guyane. Ce rôle de représentante a fait d’elle la gardienne des traditions, agissant à la fois comme conseillère et arbitre des conflits.
Cécile Kouyouri a mené un combat de plus de vingt ans pour récupérer les terres ancestrales des Kali’na. Cette lutte a été couronnée de succès en 2019, lorsque l'État français a, pour la première fois dans son histoire, restitué des terres à des peuples autochtones et ainsi reconnu leurs droits. Aujourd'hui, Cécile Kouyouri aspire à convaincre les jeunes Kali’na de revenir s'établir dans leur village pour "poursuivre la transmission que nous ont léguée nos ancêtres".
Sans la Terre, un être humain ne peut pas vivre, moins encore les peuples autochtones. - Cécile Kouyouri
La culture sur brûlis
Parcelle forestière défrichée pour l'agriculture vivrière, basée sur la technique du brûlis, l’abattis est au cœur de la culture Kali’na. Cette technique agricole ancestrale, vieille de trois millénaires, tire son nom de l'action d’abattre les arbres. Le cycle commence par un choix minutieux du site, suivi de l'abattage de la végétation. Le brûlis enrichit le sol en minéraux grâce aux cendres, essentiel pour les cultures, et est maîtrisé pour éviter les incendies. Après nettoyage, la plantation se fait sans labour. La productivité d'un abattis dure quelques années, puis la parcelle est laissée en jachère pour la régénération de la forêt et du sol, assurant la durabilité de cette pratique.
Le manioc, qui exige une transformation complexe, est la culture principale des abattis guyanais, essentiel pour l'alimentation. L'abattis peut aussi être diversifié, fournissant ignames, patates douces, bananes, maïs et divers fruits et légumes. Cette variété peut alors assurer la sécurité alimentaire des familles, les surplus étant vendus sur les marchés locaux.
Plus qu’une technique agricole
L'abattis est le reflet d'un savoir-faire traditionnel et d'un lien profond et sacré avec la Terre, perçue comme un être vivant méritant respect. La transmission orale des savoirs ancestraux est alors essentielle. La jeune Kali'na Vanessa Bois-Blanc a appris la culture de l’abattis auprès de sa mère, Margarita Bois-Blanc. Dans la communauté Kali'na, les femmes incarnent la pérennité de ce savoir-faire, transmis de mère en fille.
Margarita Bois-Blanc considère son abattis comme un "trésor" intrinsèque à son identité, un trésor hérité de sa mère et qu’elle partage désormais avec sa fille. Notamment quand elle cultive, Vanessa ressent une connexion profonde avec son environnement : "ce serait bien que tout le monde s’intéresse à notre Terre-mère, on doit la protéger, car c’est elle qui nous nourrit". Même si de moins en moins de jeunes s’intéressent à cette pratique, Vanessa se sent aussi fière de "retrouver une autonomie alimentaire en pratiquant l’abattis", elle tire une grande satisfaction de retracer les pas de sa mère.
Un savoir pour demain
Aujourd’hui, de nouvelles pratiques se développent autour des abattis traditionnels, avec l’agroforesterie qui introduit la notion de permaculture. Vanessa se sent prête à créer son propre abattis, en combinant les enseignements maternels avec ces techniques plus contemporaines :
Je veux montrer que c’est possible de revenir du monde moderne vers le monde traditionnel. Mon rêve c’est d’avoir une grande exploitation pour mettre en valeur cette richesse qui se perd ! - Vanessa Bois-Blanc
Elle en est persuadée : un abattis traditionnel pour lui permettre de subvenir à ses besoins, mais aussi devenir une ressource économique pour l’avenir.
En septembre 2025, six femmes de savoirs ultramarines seront présentes à Paris pour l’événement Les Rencontres du Matrimoine Ultramarin, organisé dans le cadre du projet De la Mère à la Terre. Cet événement exceptionnel offrira l'opportunité de découvrir des savoirs ancestraux et des nouvelles formes de production et consommation durable dans différents territoires d’Outre-mer.
Découvrez un extrait du documentaire "La culture sur brûlis" :
Pour en savoir plus :
- La plateforme d’échanges de savoir De la Mère à la Terre, portée par l’association En Terre Indigène.