Tourisme durable

Venezuela, dans les rapides de Canaïma

09 Octobre 2022 - Culture / Nature / Récit

Au Venezuela, le parc national de Canaïma est d’une beauté saisissante avec ses montagnes à toit plat et sa jungle débridée parcourue de rivières impétueuses. En pirogue à moteur, l’aventure est au rendez-vous pour cheminer vers la plus haute cascade du monde, le Salto Ángel. Mais cette région est aussi la proie des chercheurs d’or, en toute impunité.

 

Sur la rivière Carrao dans le parc de Canaïma ©S.Grandadam
Sur la rivière Carrao dans le parc de Canaïma ©S.Grandadam

 

 

En bon aventurier, Jimmy Angel n’avait pas froid aux yeux. En 1937, ce pilote américain se pose in extremis sur le sommet plat de l’Auyan Tepuy, la montagne du Venezuela où il a repéré, des années plus tôt, une chute d’eau spectaculaire. L’avion est cassé, ses occupants sont livrés à eux-mêmes à 2500 mètres d’altitude, environnés d’une épaisse forêt. Plus de radio, mais des vivres et des cordages. Après onze jours de marche, la petite équipe de quatre personnes parvient à un village en contrebas. Tous sont sains et saufs.

 

 

La plus haute chute du monde, au Venezuela, le Salto Ángel ©S.Grandadam
La plus haute chute du monde, au Venezuela, le Salto Ángel ©S.Grandadam

 

 

La montagne du diable

 

Que cherchait Jimmy Angel dans ces parages ? Une hypothétique “rivière d’or“ et la gloire de faire découvrir au monde la plus haute chute d’eau de la planète, qui porte désormais son nom, le Salto Ángel, et crache une salve d’eau sur près de 1000 mètres de hauteur, dans un impressionnant fracas. Les Indiens Pemón qui peuplent cette région vénèrent pour leur part depuis la nuit des temps l’Auyan Tepuy, leur “montagne du diable“.

L’avion de Jimmy Angel, un monoplan Flamingo développé dans les années 1920 et récupéré sur le sommet de la montagne par l’armée vénézuélienne en 1970, trône aujourd’hui devant l’aéroport de Ciudad Bolívar, capitale de l’État éponyme, où commence le voyage.

 

 

L’Autan Tepuy, “montagne du diable“ ©Henry Gonzalez
L’Auyan Tepuy, “montagne du diable“ ©Henry Gonzalez

 

 

 

La fièvre de l’or

 

Voici la région de la Gran Sabana et son parc national de Canaïma situé au sud-est du Venezuela, une terre sauvage et belle, aussi vaste que la Belgique.
Pour son malheur, une région riche de l’or de ses rivières et de ses sols limoneux. L’extraction y est en principe illégale, compte tenu du statut protégé du parc. Ce n’est que théorique : le trafic y bat son plein, à l’abri des regards.

Aujourd’hui, alors que les touristes sont rares et que le Venezuela est isolé, des témoignages attestent d’une extraction massive, qui met à genoux ce patrimoine naturel en le polluant définitivement. Des journalistes et des ONG telles que SOS Orinoco documentent une gabegie bien visible sans que les autorités ne s’en émeuvent beaucoup.

 

 

Indien Pemón sur l’Auyan Tepuy ©S.Grandadam
Indien Pemón sur l’Auyan Tepuy ©S.Grandadam

 

 

Malmenés par les eaux

 

La curiara, la pirogue à moteur, longe des parcelles plantées d’igname et de manioc qui bordent les petites maisons à toit de chaume des Pemóns. Ceux-ci se sont adaptés à la vie moderne, mais conservent toutefois une forte identité nourrie par leurs traditions et leur mythologie. Les Pemóns se rebellent régulièrement contre le gouvernement, notamment à propos de l’extraction minière qui s’est intensifiée dans la région.

Soudain, les eaux ambrées du Rio Carrao s’agitent en tous sens, contrariées par le courant. Pour atteindre le pied de l’Auyan Tepuy, il faudra deux jours de navigation mouvementée. Le moteur hurle sous les coups de boutoir des rapides et les piroguiers manoeuvrent à la rame pour se frayer un chemin. L’objectif du jour est de négocier au mieux l’étroit “passage du caïman“ entre des blocs rocheux et les eaux tourbillonnantes. Les étrangers doivent descendre et retrouver la pirogue un peu plus loin sur la rive.  Celle-ci est aussi douce et claire que la rivière est turbulente et boueuse. Un fouillis d’arbres et de feuillages géants couvre les flancs des montagnes naissantes qui annoncent l’approche de l’Auyan Tepuy.

 

 

Sur la rivière Churun ©Henry Gonzalez
Sur la rivière Churun ©Henry Gonzalez

 

 

Puissance originelle

 

La nuit ne nous appartient pas. Au campement, derrière la chanson des crapauds, quand les humains se taisent, une symphonie s’élève. Cris, frôlements, le règne animal se manifeste sans vergogne. Le sommeil tangue sur ce monde inconnu.

Au matin, le trajet bifurque vers un autre bras de rivière, le Churún, plus petit mais non moins indiscipliné. La pirogue progresse en altitude : au fil de l’eau, nous aurons grimpé de 500 mètres sans nous en apercevoir. Bientôt, nous lèverons les yeux vers l’Auyan Tepuy et sa cascade merveilleuse. Nous pourrons gravir cette montagne et honorer la puissance de l’eau, que le flux colérique de la rivière nous a aidés à ressentir.

 

 

Cascade dans le parc national Canaima, Venezuela
Cascade dans le parc national Canaima, Venezuela ©Henry Gonzalez