Tourisme durable

Tourisme et développement durable : un bilan

30 Janvier 2017 - Actualité / Biodiversité / Entretien / Initiatives / Portrait / Préservation

Régulièrement, à travers sa collection des « Cahiers Français », la Documentation Française demande à une dizaine d’experts de faire le point sur des sujets d’intérêt général. Cahiers qui deviennent autant de documents de référence pour les étudiants, chercheurs et professionnels. Dans sa récente parution consacrée à « L’industrie du tourisme »*, Céline Barthon était en charge du volet consacré au développement durable. Nous l’avons rencontrée.

 
Céline Barthon - Tourisme et développement durable

Céline Barthon

 
 
 
TV5MONDE : Céline, vous avez donc rédigé le chapitre des Cahiers intitulé « Tourisme de masse et développement durable : quelle compatibilité »*. A quel titre ?
 
Céline Barthon : Je suis géographe, Enseignante-chercheure à l’université d’Angers, également responsable de deux formations dont le Master « Chargé de projet conseil en développement durable du tourisme ».
 
 
TV5 : A partir de quand, selon vous, a-t-on commencé à regarder le tourisme comme une activité qui pouvait avoir des impacts négatifs sur l’Homme et la planète ?
 
CB : On peut considérer que cette prise de conscience est contemporaine de la mondialisation des échanges et de l’ouverture au monde dans les années 90 (effondrement du bloc soviétique) entraînant une forte croissance des flux touristiques. Cependant il convient de rappeler que le tourisme est associé aux congés payés, aux luttes sociales du Front Populaire (dans le cas de la France) et parler d’impacts négatifs sur l’Homme apparaît alors comme disproportionné : comme si la démocratisation des loisirs et du tourisme pouvait avoir des impacts négatifs sur l’humanité ! Certes, la massification des flux a des incidences notamment sur l’environnement. Dès les années 1970-80, on a commencé à penser à la protection de cet environnement, y compris dans les lieux touristiques où l’urbanisation gagnait du terrain. Cependant là encore il faut prendre du recul sur les « dégradations » dénoncées à l’époque car si l’on prend l’exemple du Languedoc-Roussillon, rétrospectivement, on constate que la mission Racine et son modèle d’aménagement alternant stations touristiques denses et espaces naturels protégés a plutôt été bien pensée en matière de développement durable. Que serait devenu ce littoral si l’urbanisation diffuse l’avait emporté ? N’oublions pas que le développement durable est un modèle de développement qui doit mettre en synergie les enjeux relatifs à la protection de l’environnement, au développement économique, au progrès et à l’équité sociale. On est donc loin du modèle de l’éco-développement où les ressources naturelles et l’environnement global représentent une limite au développement. Je pense qu’il y a souvent confusion entre les deux.
 
 
TV5 : Quels types de nuisances véhicule le tourisme de masse et quels défis majeurs pose-t-il pour les années à venir ?
 
CB : Si le tourisme est un phénomène social et économique, il repose essentiellement sur la mobilité des individus et s’appuie sur l’aménagement de l’espace (équipements, services, etc.). Par conséquent, les nuisances telles qu’elles apparaissent le plus fréquemment sont liées au transport, à l’urbanisation mais aussi à la multiplication de la population présente dans les destinations en période de forte fréquentation qui génère des besoins en eau (en quantité et qualité), énergie, traitement des déchets etc., et parfois l’impression, pour certains, d’être envahis ! Ces problématiques sont particulièrement présentes sur les îles où l’on retrouve une forte concentration saisonnière et/ou l’acceptation sociale du tourisme est parfois remise en question. Après, si l’on se focalise sur les pays en développement, tous ne disposent pas de capacité de gestion du tourisme et de ses effets notamment sur l’environnement. S’ensuivent alors des tensions et conflits pour l’accès aux ressources naturelles (eau, espace, biodiversité) et une augmentation des déchets générant des pollutions nocives pour les populations locales.
 
 
Tourisme de masse - tourisme et développement durable

Un exemple de tourisme de masse

 

 

TV5 : En conséquence quelle définition donner à un tourisme durable ? Tout le monde s’accorde-t-il sur ce qu’il doit être, ce qu’il est ?
 
CB : Je considère que le tourisme durable n’est pas un produit ni une forme de tourisme à proprement parler, un tourisme « bienfaiteur et respectueux » qui serait opposé au tourisme de masse. D’autant plus que les enjeux du tourisme du XXIe siècle reposent justement sur l’application des principes de développement durable au tourisme de masse. Si on ne s’intéresse qu’aux formes de tourisme alternatives à ce dernier, on se trompe d’enjeu, en tout cas en l’état actuel de l’économie et des pratiques touristiques.
Derrière le tourisme durable se cache pour certains une philosophie du voyage, une idéologie pour d’autres… Mais quoi qu’il en soit, son développement vise avant tout à optimiser les effets positifs du tourisme sur les territoires et les destinations visitées tout en réduisant les incidences négatives sur l’environnement et les populations locales. Une fois défini ainsi, il reste que les défis à relever et les contradictions à dépasser sont nombreux et font débat.
 
 
TV5 : Quels sont alors ces principaux enjeux ? Existe-t-il une gouvernance ou des volontés qui se préoccupent de les mettre en œuvre ? Des organismes et textes reconnus qui définissent un seuil de soutenabilité ?
 
CB : Les enjeux du tourisme durable sont multiples : contribuer à la conservation de la biodiversité, des paysages et du patrimoine, réduire les consommations énergétiques ainsi que les diverses pollutions que génèrent les mobilités et l’accroissement saisonnier de la population sur site ; permettre un développement économique équitable pour l’ensemble des acteurs en intégrant les coûts environnementaux ; appliquer les principes d’équité et de responsabilité sociale… En matière de gouvernance du tourisme, on peut dire que le développement durable y a fortement contribué en mettant autour de la table les différentes parties prenantes, que ce soit les habitants, les socioprofessionnels, les collectivités territoriales, les États, les O.N.G., les O.I.G sur des thématiques rattachées au tourisme bien sûr mais aussi à la culture, l’environnement, le développement local etc. Bien entendu, il existe des organismes et des textes (charte, code, guide) qui, à différentes échelles géographiques, tentent de cadrer les objectifs du développement durable du tourisme. Cependant, la définition de seuils de soutenabilité s’avère complexe à mettre en œuvre et ceux-ci ne peuvent être normalisés… pour diverses raisons que j’ai pu développer dans l’article des Cahiers Français.
 
 
Tourisme et développement durable

 

 

TV5 : La part du tourisme est-elle importante dans les émissions de CO² et que fait-on de ce côté ?
 
CB : Une importance indéniable, mais relative si l’on compare le tourisme aux autres postes émetteurs (agriculture, industrie…). Quoi qu’il en soit, les transports sont les plus impactants. L’Organisation Mondiale du Tourisme estime que le tourisme émettait 5 % des émissions de CO² en 2005 dont 75 % représentés par les transports. En France, la contribution du tourisme est évaluée à hauteur de 8 % des émissions nationales de gaz à effet de serre et la part correspondant au transport est sensiblement équivalente. Cependant, si vous supprimez les transports, vous supprimez la mobilité et par conséquent, le tourisme ! Néanmoins, une multitude d’actions à différents niveaux est mise en œuvre pour réduire ou atténuer les émissions de CO² sur les territoires (Plan Climat Energie Territoriaux) et dans les destinations (système européen d’indicateurs du tourisme pour la gestion durable des destinations) privilégiant les mobilités douces, les transports en commun, etc. Mais le chemin de la transition énergétique et de la compensation carbone dans le domaine du tourisme est encore long à parcourir !
 
 
* Cahiers Français n° 393 : “L’industrie du tourisme” 80 pages, 10,10 €