Continent mystérieux, dernière terre vierge de notre planète, atmosphère quasi mystique faite de silence et de jeux de lumière irréels sur la glace… La fièvre australe ne touche pas que les explorateurs. L’Antarctique attire de plus en plus de visiteurs et est en passe de devenir une destination grand public coûteuse.
La mer de Weddell longe la côte est de la péninsule Antarctique © Unsplash
Depuis plus de trente ans, Luc Jaquet partage sa passion pour le continent blanc et son étrange charme magnétique. Dans son dernier film “Voyage au pôle Sud”, le réalisateur de La Marche de l’Empereur prend le parti de la sensibilisation par la beauté du monde, premier pas vers le respect de la nature. Mais l’émerveillement ne suffit malheureusement pas à répondre aux impacts négatifs directs de la croissance rapide du tourisme en Antarctique. Alors que le continent blanc se réchauffe plus rapidement que la moyenne mondiale, les expéditions au milieu de ses paysages étincelants sont devenues tendance !
Au cours de la dernière saison australe, le cap des 100 000 touristes en Antarctique a été franchi, soit une augmentation de 40% par rapport aux niveaux d'avant la pandémie et dix fois plus qu’il y a vingt ans. Le tourisme s’y déroule avant tout en croisières réalisées à bord de navires dits d’expédition, qui partent essentiellement de Punta Arenas, au Chili, ou Ushuaïa, en Argentine.
Gary Bembridge Flickr CC
Les visiteurs sont attirés par la possibilité de voir de leurs yeux non seulement ces vastes paysages immaculés à la faune abondante, mais aussi de fouler le sol d’un endroit mythique où peu d’autres se sont aventurés auparavant à part des explorateurs et des scientifiques. L’idée de visiter un lieu qui va bientôt disparaître à cause du changement climatique accroît encore plus l’intérêt pour la destination.
La grande majorité des touristes – essentiellement Américains et Chinois – embarquent à bord de bateaux pouvant accueillir plusieurs centaines de passagers pour rejoindre la péninsule de l’Antarctique, la partie la plus septentrionale du continent, la plus accessible. Selfies avec des manchots, baignades dans l’eau glaciale, photos de mariage sur la banquise, plongée sous-marine, kayak, raquette, ski de fond, vols en hélicoptère et camp de luxe… tout devient possible. En 2021, un Airbus A340 a même atterri pour la première fois en Antarctique.
Quelques acteurs du tourisme et de l’exploration polaire défendent les expéditions scientifiques à petite échelle qui aident à préserver l’équilibre entre la protection d’un environnement et son ouverture au monde extérieur, pour que ce continent, symbole de science et de paix, soit une réalité qui appartienne à tous. Embarqués sur ces bateaux, les touristes deviennent des "ambassadeurs”, prêts à s’impliquer pour défendre le monde polaire à leur retour.
Seul continent non approprié par les États, l’Antarctique dépend du traité de Washington datant de 1959, qui y a interdit toute activité économique © Unsplash
D’autres pensent plutôt que les touristes de l'Antarctique deviennent les ambassadeurs… d'une hausse du tourisme en Antarctique, et que les projets de science participative ne seraient qu’un argument marketing supplémentaire pour les croisiéristes. Des voix se lèvent pour des mesures plus strictes. Rémi Knafou, géographe, professeur émérite à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, trouve nécessaire de refuser que les croisiéristes deviennent “les nouveaux concessionnaires de la protection de l’environnement sur ce continent si fragile”.
Même si l’Association internationale des tour-opérateurs de l’Antarctique (IAATO), regroupant la grande majorité des voyagistes, définit des protocoles stricts afin de limiter les dégradations, l'impact du tourisme sur cet écosystème déjà fragilisé par le réchauffement climatique est inéluctable. Dans ce contexte, gouverner le tourisme en Antarctique devient un défi urgent !
Faudrait-il limiter les flux de visiteurs ? Qui en déciderait ? En l'absence de toute autorité gouvernementale pour surveiller le continent et face aux effets croissants du changement climatique, l'Antarctique devrait être fermé aux touristes, conclut le géographe.
Autorisons-nous à interdire l’accès à ces espaces fragiles, tant qu’il est encore temps. Laissons leur étrangeté alimenter notre imaginaire… sans chercher à aller y voir par nous-mêmes - Rémi Knafou.