Et si, pour changer, on arrivait à Venise à vélo. À partir de la très chic Trévise, une piste cyclable se déroule jusqu'à la Sérénissime. Allez hop, on enfourche une "bicy", comme on dit par ici.
À partir de Casale, il suffit de remonter le Sile, le plus long fleuve résurgent d'Europe (96 km) qui, avant d'être détourné au XVIIème siècle, se jetait dans la lagune. La piste cyclable est aussi plate qu'une tagliatelle. En matière d'ombre, on peut compter sur celle prodiguée par les arbres alignés sur les berges. Là, aux abords des roselières, hérons, canards, cygnes, foulques et oies barbotent insouciants. Toujours navigable, le fleuve a donné l'idée dès la Renaissance à certains riches habitants de Venise de construire sur ses rives de fastueuses villas.
Maintenant Trévise ne doit plus être très loin. À petites foulées, quelques signorine et signore trottinent sur l'ancien chemin de halage. Pour se prémunir contre le soleil, elles accordent à la quasi-unanimité leur confiance aux lunettes Gucci. C'est qu'on ne mégote pas sur la qualité des équipements à Trévise, ni sur les signes extérieurs de richesse. Pourquoi se priver quand on a les moyens ?
La ville compte parmi les plus riches du pays. Un duomo medieval accablé d'une curieuse façade néoclassique, des palais et des demeures dans le style vénitien, des églises, deux fleuves, le Sile et le Cagnan immortalisés par Dante dans sa Divine Comédie, des placettes, il ne manque rien pour faire de Trévise une de ces villes d'Italie naturellement belles. C'est ici que Benetton a fait de la maille avec de la laine de toutes les couleurs, ici que Stefanel a imposé un style pour elles, les femmes, encore ici que De'Longhi a créé la Rolls des machines à expresso, partie depuis sans trembler à la conquête du monde.
On roule plein est, en empruntant pendant un moment l'ancienne voie Annia - Ier siècle avant J.-C. Le Sile avance à découvert sur une plaine qui se fait une très haute idée de la platitude. C'est à se demander comment le fleuve parvient encore à s'écouler. Des champs à perte de vue, quelques gros bâtiments de ferme isolés, témoins de l'exploitation de type latifundiaire en vigueur dans le coin, des roselières, des échassiers, un autre fleuve qui porte l'étrange nom de Zero et, dans le lointain, les Alpes dressées comme une herse de château fort.
À Quarto d'Altino, on rejoint la lagune pour embarquer sur un bateau à fond plat. Devant nous, des roseaux à perte de vue entre lesquels on se faufile en empruntant des chenaux qui louvoient. Gianluca, un Vénitien pur jus tient la barre. Quand on finit par s'extirper de la verdure, on aperçoit en premier le clocher de Torcello. Un campanile pouvant en cacher un autre, on aperçoit de Torcello celui de Burano qui marque son penchant pour la Tour de Pise, en penchant lui-même exagérément.
Burano, l'île aux maisonnettes peintes dans une couleur très vive : rouge, vert, bleu, jaune… cela pour aider les marins à retrouver leur domicile par temps de brume, selon l'explication officielle. Arrivés sur Murano, l'île des verriers donne un avant-goût de la bousculade vénitienne. Et puis, et puis, il y a finalement la Cité des Doges.