
Il faut du temps pour changer de réputation. Le Salvador en sait quelque chose. Déchiré par une guerre civile de 1980 à 1992 le plus petit pays d'Amérique centrale fut rayé de la carte touristique. Mais voilà qu'il s'ouvre doucement aux voyageurs. Avec le plus grand sourire.
Si la guerre n’est plus qu’un mauvais souvenir, les tremblements de terre, eux, n’ont pas encore signé de cessez-le-feu. Au Salvador, il y a des volcans à gogo. Sur la centaine que recèle le pays, la cordillère d’Apaneca près de la frontière guatémaltèque n’en compte pas moins de 23 dont un très photogénique trio : le Cerro Verde, l'Izalco et le Santa Ana. Le premier est éteint, les deux autres encore actifs, comme les volcans de l’astéroïde B 612 où s’ennuyait le Petit Prince.
Et ce n’est pas un hasard. Consuelo Suncin, épouse de Saint-Exupéry, fille d’un riche planteur de café du côté d’Arménia, à seulement quelques portées de scories de l’Izalco, avait grandi sous la menace de ces voisins irascibles. Elle n’avait pas manqué de décrire à son écrivain et pilote de mari les colères récurrentes de l’Izalco, surnommé le « phare du Pacifique » pour ses effusions incandescentes aperçues du large par les marins. Avant de s’envoler dans le parc national Los Volcanes, la route plonge dans la mer ondoyante des plumets de canne à sucre. Ici, les récoltes se font encore à la machette.
Edwin Calderon n’a jamais lu le Petit Prince ou jamais coupé de canne, mais il a lui aussi une machette, portée en permanence à la ceinture. Tous les jours, ce garde-forestier patrouille les embarras de jungle du parc national à la recherche des braconniers et des ramasseurs d’orchidées. Et il lui arrive comme ce matin d’accompagner les randonneurs jusqu’au sommet du Santa Ana, 2 381 mètres, le point culminant du pays.
Après la grande voûte verte de la forêt, le sentier s’élève bientôt au milieu d’une géologie lunaire où seuls quelques agaves parviennent encore à tenir bon. Au nord-est, on aperçoit les eaux turquoise du lac Coatepeque et son hyper-select île de Teopan où vient s’ébaudir toute la bonne société salvadorienne.
Puis c’est le grand vertige sur les lèvres du cratère, avec tout au fond, comme un joyau de jade dans son écrin, l’œil rond d’un lac d’acide. Des rideaux de fumerolles courent en ordre dispersé sur la surface d’un vert suspect avant de s’oublier en traînées orangées sur les parois de la caldeira. Tandis qu’un touriste, dos au précipice, risque l’ultime plongeon pour un selfie audacieux, un Salvadorien déploie fièrement le drapeau national comme pour conjurer un passé douloureux. La dernière éruption du Santa Ana remonte à 2005, celle de l’Izalco à 1966.
Au Salvador, même les volcans n’ont plus envie de faire la révolution...