Tourisme durable

Rencontre avec Mohamed Wais, Directeur de l'Office de Tourisme de Djibouti

21 Novembre 2016 - Actualité / Hébergement / Initiatives / Portrait

Après un parcours assez atypique, Mohamed Wais est à la tête de l’Office de Tourisme de Djibouti depuis plus de dix ans. Rencontre avec un homme passionné par son métier et décidé à faire aimer son territoire, ses hommes et ses traditions.

 

Mohamed Wais accueille un groupe de visiteurs sur un boutre local © G. Clastres

 

TV5MONDE : Pouvez-vous nous rappeler brièvement votre parcours ?
 
Mohamed Wais : Après des études de lettres modernes puis une maîtrise en géographie du développement obtenue dans une université française, j’ai un temps enseigné l’histoire-géographie dans un collège de Djibouti puis, suis à nouveau revenu en France pour passer un diplôme de démographe. De retour au pays, j’ai finalement atterri à l’Office de Tourisme en 1998, un peu par accident. Je ne le regrette vraiment pas. De simple employé, j’ai peu à peu gravi les échelons et suis devenu Directeur en 2001. Aujourd’hui, je me sens à ma place et j’ai l’impression d’être utile.
 
 
 
TV5 : Où en était le tourisme à Djibouti au moment de votre nomination à la tête de l’office de tourisme ?
 
MW : En 2000, Djibouti avait accueilli près de 20 000 touristes. En 2011, nous en étions à presque 60 000, soit 300 %
d’augmentation en dix ans. A l’époque, la majeure partie des touristes était française, près de 70%. On a réussi à diversifier les arrivées, surtout avec des touristes en provenance d’autres pays européens mais aussi des pays arabes et plus précisément des Emirats Arabes Unis. Il y a aussi eu ce que nous avons appelé l’effet Kempinski, un hôtel de luxe édifié en 2006 qui accueille à présent de nombreux hommes d’affaires mais aussi des touristes russes et des militaires.
 
 
TV5 : Quelles seraient aujourd’hui vos priorités pour Djibouti en terme de politique touristique ?
 
MW : La volonté de continuer à accueillir un tourisme ciblé, de ne pas céder aux effets de mode. Mes préoccupations principales restent que la population locale soit la principale bénéficiaire des retombées économiques du tourisme et que les projets touristiques prennent en compte les territoires. Djibouti est fragile. Elle ne s’étend que sur 23 000 km2. Il nous faut la protéger. Le cas de l’Espagne m’avait alors frappé. Le pays s’est enrichi pendant dix ans grâce au tourisme mais quel est le résultat ? Des côtes dénaturées, des hôtels qui concentrent les touristes… Si cela se fait à Djibouti, on pourra certes s’enrichir pendant un temps mais après… il est sûr que les populations locales seront une fois de plus laissées pour compte. J’essaye d’imposer une vision, une culture ouverte aux autres.
 
 

Spectacle au campement de la Mer Rouge © G. Clastres

 

 
 
TV5 : Les campements qui sont dans cette logique ont-ils reçu votre soutien ?
 
MW : Ce sont avant tout des initiatives privées. Il faut préciser qu’à Djibouti, pendant longtemps, le tourisme n’était pas une priorité et l’Etat a préféré mettre l’accent sur les constructions d’écoles, l’adduction d’eau, les forages, les hôpitaux, dispensaires, accès aux soins… Depuis 1999, nous avons un nouveau président (Ismael Omar Guelleh). L’Etat est plus ouvert, plus à même de comprendre les investissements étrangers. De nombreuses barrières douanières ont été levées, le code des investissements est plus attractif et l’économie de Djibouti a connu une forte croissance. Le tourisme va suivre. Je reste persuadé qu’il est le secteur le plus à même de sortir le pays de la crise et de mettre un terme à la situation paradoxale de Djibouti qui affiche un taux de croissance de 5% mais aussi un taux de chômage de 58%.
 
 
La raison à cela, on s’est trop concentré sur d’autres secteurs d’activité qui ne font pas assez appel aux populations locales. Depuis quelques années, l’Etat a mis en place un fond de développement économique pour soutenir l’esprit d’entrepreunariat et aider les porteurs de projets, surtout les jeunes, à avoir un accès plus facile aux crédits. Quinze millions de dollars ont été investis. Déjà, certains en ont bénéficié comme le campement de Dittilou ou le Village de la Mer Rouge à Obock ou encore le campement de la Plage des sables blancs. En revanche, Houmed Loita du lac Abbé a totalement auto-financé son campement, l’Office du Tourisme va lui apporter son assistance pour le montage du dossier relatif à l’amélioration et l’extension de ses installations. Quant à Houmed Ali, à Bankoualé, il a reçu un appui de la coopération française.
 
 
Un campement
 
 
 
TV5 : Le tourisme peut-il être une solution pour lutter contre la pauvreté à Djibouti ?
 
MW : J’en suis persuadé. Quand le tourisme avance, la pauvreté recule. Outre les touristes internationaux et les hommes d’affaires, nous avons près de 10 000 expatriés résidents ou militaires qui souhaitent dépenser un peu de leur argent pour mieux découvrir le pays. Cela fait du monde. Or nous savons que le tourisme est un secteur multidimensionnel capable de créer des emplois surtout pour les jeunes et les femmes, capable aussi de redonner vie à nos régions et ainsi empêcher l’exode rural. Les efforts de l’Office du Tourisme visent à faire de notre tourisme une priorité pour, d’une part, favoriser la découverte mutuelle, le partage et l’échange et, d’autre part, lutter efficacement contre la pauvreté grâce aux emplois créés et aux devises générées.
 
 

Sur le marché de Tadjourah © G. Clastres

 

 

 

 
TV5 : Certains grands groupes se montrent-ils également intéressés par le développement de Djibouti ?
 
MW : Tout à fait. Nous avons plusieurs projets de tourisme d’affaire et le groupe Accor est très intéressé par Djibouti capitale. Le groupe Marriott également, ainsi qu’un consortium des pays arabes. Les Chinois commencent aussi à montrer beaucoup d’intérêt pour Djibouti.
 
 
 
TV5 : Djibouti est aussi un site incontournable pour la plongée sous-marine. Or le mois de décembre, il arrive que le golfe soit sur-fréquenté par les plongeurs venus voir les requins baleine…
 
MW : Nous allons y remédier et limiter les autorisations. A partir de la saison prochaine, tout le monde sera obligé de passer par l’Office de Tourisme pour avoir les permis et accréditations pour aller sur les sites fréquentés par les requins baleine comme par exemple Arta Plage. Les périodes de visite seront limitées, de 7h à 14h. A l’heure actuelle, c’était devenu trop encombré avec des dérangements permanents pour ces gentils géants, certains y allaient même le soir avec les phares.
 
 
 
 
TV5 : Vous souhaitiez enfin nous parler de deux projets que vous mettez en place en partenariat avec l’hôtel Sheraton de Djibouti.
 
MW : Oui, depuis l’arrivée de Yannick Aubry à la tête du Sheraton, nous avons initié un projet de soutien à l’association des femmes de Balbala, une association de femme artisane. Nous travaillons avec ces femmes défavorisées de la banlieue de Djibouti et leur garantissons un volume d’achat. L’Office de Tourisme avance 50 % du prix d’achat et le Sheraton achète ces produits d’artisanat en partenariat, qui sont, par exemple offerts aux clients fidèles. Ainsi, nous avons mis en place une chaîne de solidarité, du petit village au grand hôtel. Ce partenariat va aider ces femmes à trouver des débouchés pour leurs produits.
En outre, l’Office de Tourisme travaille également avec l’ONG « Acting for life » basée à Toulouse, afin d’aider à l’amélioration de la qualité des produits artisanaux proposés par ces femmes. Ainsi, des artisans de Madagascar ont été identifiés et vont venir à Djibouti pour aider à la diffusion des savoir-faire, une coopération sud-sud via l’entremise d’une ONG du nord.
 
 
TV5 : Que voulez-vous ajouter pour conclure ?
 
MW : Je pense très sincèrement que le tourisme moderne, qui se veut réellement enrichissant, ne doit pas se limiter à une visite et une observation hâtives et superficielles du cadre choisi. Il peut et doit être l’occasion d’une meilleure connaissance des rapports entre l’Homme et la nature tout en contribuant à une compréhension mutuelle des peuples et à la promotion de la paix.
Avec sa position géographique stratégique, ses potentialités naturelles et culturelles immenses, sa stabilité politique, son économie libérale et sa monnaie à parité fixe avec le dollar, la République de Djibouti possède les atouts indiscutables pour faire du tourisme durable le moteur de son développement économique.
 
Merci à Gassira, Hussein, et toute l’équipe du Lagon Bleu qui nous a chaleureusement reçus sur Musha.