Tourisme durable

Rencontre avec Cyril Dion : "Tout ce qui nous permet d’embrasser la diversité du monde peut nous encourager à la protéger et à la respecter."

07 Décembre 2024 - Entretien / Initiatives / Préservation
Militant, écologiste, réalisateur et auteur, Cyril Dion est incontournable dans le paysage médiatique français depuis 2015 et son documentaire Demain, et plus encore avec Animal, paru en 2021. À Bordeaux, à l’occasion de la dixième édition des Universités du Tourisme Durable, nous l’avons interrogé sur le futur souhaitable du voyage…

 

Cyril Dion © DR



Quel serait le futur souhaitable pour le voyage, d'ici 20 ans ou 50 ans ?

Cyril Dion : Ce serait une sorte de mélange à opérer avec des choses existantes, que l’on a pu connaître dans le passé, à une époque où le voyage s’inscrivait dans la durée, où c’était une réelle aventure. Par exemple, je pense partir cet hiver voir les aurores boréales en Suède. Je pourrai prendre un train de nuit entre Paris et Berlin, passer une journée à visiter Berlin, puis reprendre un train de nuit me menant à Stockholm, que je visiterai aussi en une journée, puis je passerai trois jours pour aller voir les aurores boréales. Ensuite, je ferai le même trajet en sens inverse. J’aurai ainsi passé deux journées dans chaque capitale, économisé des nuits d’hôtel et j’aurai surtout le sentiment d’être dépaysé. J’aurai vu des paysages et des réalités très diverses, entre Berlin, Stockholm et la nature suédoise. C’est déjà une amorce de voyage beaucoup plus soutenable, qui allie l’aventure, le sens, le dépaysement, la lenteur et la diversité.

 

Aurore boréale © David Becker - unsplash
 



En 2075, ce serait donc ce type de voyages qui serait souhaitable ?

CD : Je ne sais pas si nous aurons alors des avions qui ne polluent pas, mais un avenir souhaitable sera de choisir des destinations avec une forme de voyage moins tournée vers la consommation et plus vers l’aventure. Il existe de nombreuses façons de vivre des aventures. Certains de mes amis font déjà des centaines de kilomètres à vélo et traversent ainsi de multiples territoires. Un futur souhaitable pour le voyage, ce serait beaucoup d’intermodalités, comme mélanger le train et le vélo, et ajouter le vélo électrique pour parcourir de plus grandes distances. Il faudrait par exemple pouvoir mettre son vélo électrique dans un train et voyager dans toute l’Europe, avec des wagons destinés au vélo et d’autres où l’on pourrait se restaurer. C’était déjà le cas avec l’Orient Express. Et c’est l’une des choses qui fait vraiment rêver aujourd’hui.

Mon ami, l’artiste JR, vient de designer un wagon de l’Orient Express, c’est un type de voyage très luxueux que peu de gens peuvent se permettre. Mais en 2075, si c’était accessible au plus grand nombre, si on avait la possibilité de dormir dans des petites cabines confortables, avec d’autres cabines dédiées au vélo, puis avoir accès à des restaurants qui traversent des paysages, ce serait génial… L’expérience du voyage se passerait aussi pendant le transport. Actuellement, le transport doit être le plus rapide possible, car il est considéré comme du temps perdu. Aller le plus vite possible, cela signifie consommer le plus d’énergie possible…

 

Voyager en train © Elimende Inagella - unsplash



Qu’en est-il d’un futur souhaitable pour le voyage pour les pays du Sud ?

CD : Pour les destinations inatteignables en train, c’est toujours une question de dosage, de parcimonie. J’adore prendre l’avion pour aller dans des endroits où je ne peux aller autrement. Je suis allé au Japon pour la sortie de mon film Animal, je suis resté dix jours et j’ai été fasciné par la découverte de cette culture. Certains quantifient aujourd’hui combien de vols long-courriers sont réalisables pendant une existence. En fonction, il faudra déterminer les destinations pour ces cinq ou six longs voyages, et le reste du temps trouver d’autres moyens pour réaliser nos aventures. Cela a déjà existé, Nicolas Bouvier a par exemple parcouru d’immenses distances en voiture, jusqu’en Afrique ou en Asie… C’est possible, mais cela demande de réinventer notre relation au temps, de ne pas être étranglé économiquement par la nécessité de travailler tout le temps et de gagner de l’argent… Cela implique une redéfinition des règles de la société. Mais ce serait le rêve, il y a de nombreuses personnes qui adoreraient passer des mois à voyager et à découvrir des contrées en y allant en train, en vélo, à pied ou même à cheval… Mais ils n’ont juste pas le temps !

Les pays du Sud bénéficieraient également de ce type de voyage, dans un monde où les richesses auraient été réparties, où nous aurions réduit notre boulimie de matière, d’énergie et d’argent, pour les partager avec les territoires qui en ont le plus besoin. Ces territoires pourraient aussi se désenclaver et leurs habitants auraient la possibilité de venir visiter nos contrées sans être obligés de le faire pour des impératifs de survie, ce qui est le cas aujourd’hui. Il y a de grands voyages qui se font dans des conditions atroces, car ces gens n’ont pas le choix.
 

Nous avons besoin d’aller vers une forme de sobriété heureuse, d’essayer de réduire au maximum notre dépendance à l’argent en limitant un certain nombre de nos besoins et de nos dépenses, pour gagner du temps. - Cyril Dion
 


Voyager en vélo © Urban Vintage - unsplash

 

 


Quels sont les premiers pas à mettre en place au niveau de nos gouvernants ? Et au niveau individuel ?

CD : Nous avons besoin de changer les règles du jeu, d’arrêter de vouloir gagner le plus d’argent possible le plus rapidement possible et de faire le plus de croissance économique possible. Nous avons besoin d’aller vers une forme de sobriété heureuse, d’essayer de réduire au maximum notre dépendance à l’argent en limitant un certain nombre de nos besoins et de nos dépenses, pour gagner du temps. Certains le font, ils décident de travailler six mois par an, avec peu de dépenses, et partent ensuite voyager pendant six mois, certains le font même en famille, avec l’école à la maison. Ils acceptent d’avoir moins de possessions matérielles pour avoir plus de temps et vivre des expériences différentes. C’est une première façon de faire sécession, en refusant d’être cantonné à une fonction de producteur consommateur de la société. Nous sommes assignés à résidence pour être productifs. L’échelle dont je parle est celle d’une mutation de la société.

Au niveau des gouvernants, si l’on parle d’aménager le modèle existant, il faudrait faciliter les connexions entre les différentes mobilités douces, train, vélo, voiture électrique partagée, sans avoir recours à des énergies fossiles et des transports plus polluants. Il faudrait modifier les règles d’urbanisme, pour que les sites touristiques soient par exemple accessibles à pied, à vélo ou en transports en commun, mais aussi mettre en place un système de pollueur-payeur en fonction des types de structures touristiques. Il faudrait des instruments de mesure pour cela, comme l’avait proposé la Convention Citoyenne pour le Climat. Les citoyens avaient proposé une Autorité aux limites planétaires à l’image de l'Autorité de sûreté nucléaire. Cette dernière vérifie qu’il n’y a pas de failles, que nous ne sommes pas en danger. De la même manière, l’Autorité aux limites planétaires vérifierait que les politiques engagées restent dans le cadre des limites planétaires et donc que nous ne nous mettons pas en danger. Avec une telle autorité, dans tous les secteurs d’activité, y compris le tourisme, nous serions obligés de nous poser ces questions : quand je construis ce type d’infrastructure, quel impact cela a sur les écosystèmes, sur la pollution des sols, de l’eau, de l’air, sur la biodiversité, est-ce en train de détruire ou de régénérer ?
 

Là encore, c’est du temps, c’est accepter d’être dépaysé, d’être sorti de son confort et de ses repères et de ne pas chercher à retrouver la même chose partout. - Cyril Dion

 

En forêt © Paul Pastourmatzis - unsplash


 


Dans la ligne de cette citation du commandant Cousteau "On aime ce qui nous a émerveillés et on protège ce que l'on aime", croyez-vous aux vertus du voyage pour réinventer nos imaginaires et créer un monde plus ouvert, tourné vers l’Autre et le vivant ?

CD : Bien sûr, mais cela dépend de quelle façon le voyage est pratiqué. Vous pouvez aller à l’autre bout du monde et rester au bord de la piscine d’un hôtel sans jamais rencontrer un ou une autochtone, c’est le principe des clubs. Je pense que le voyage forme la jeunesse, enrichit notre regard sur le monde, nous offre d’autres perspectives, d’autres points de vue, à partir du moment où l’on part vraiment à la rencontre, où l’on découvre des cultures, des gens, des écosystèmes, des espèces, où l’on y est attentif, où l’on y prête attention. Là encore, c’est du temps, c’est accepter d’être dépaysé, d’être sorti de son confort et de ses repères et de ne pas chercher à retrouver la même chose partout. Ce qui est terrible avec le tourisme de masse, c’est cette standardisation : nous ne sommes jamais surpris et avons toutes les chances de ne rien découvrir, nous suivons les mêmes itinéraires dans une culture standardisée qui appauvrit la diversité du monde. Ce qui fait pourtant la résilience d’un écosystème, c’est sa diversité. Tout ce qui enrichit la diversité, tout ce qui nous permet d’embrasser la diversité du monde, de la comprendre, de l’aimer peut effectivement nous encourager à la protéger, à en prendre soin, à la respecter.
 

Merci à l’association Acteurs du Tourisme Durable (ATD) qui a organisé les Universités du Tourisme Durable et qui a rendu cette rencontre possible.
 

Pour aller plus loin : 
Retrouvez sur Youtube : le replay de la conférence lors des Universités du Tourisme Durable