Tourisme durable

Pèlerinage à Shikoku avec Marie-Edith Laval

08 Juin 2017 - Actualité / Entretien / Portrait
Depuis mille deux cents ans, des pèlerins, appelés henro, parcourent l’île de Shikoku dans le sens des aiguilles d’une montre, en passant par 88 temples sur les traces du célèbre moine Kûkai, plus connu sous le nom de Kobo Daishi, fondateur de l’école bouddhique Shingon.

Orthophoniste passionnée de voyage et de méditation de pleine conscience, Marie-Edith Laval a entrepris à son tour ce pèlerinage durant l’été 2013, une expérience hors du commun qu’elle relate dans son ouvrage "Comme une Feuille de thé à Shikoku". Retour sur 1 200 kilomètres d’un chemin de purification intérieure, 88 étant le nombre de péchés dont l’homme doit se purifier pour accéder à la béatitude, selon cette tradition…

 

Marie Edith Laval lors de son pèlerinage à Shikoku
Marie Edith Laval lors de son pèlerinage à Shikoku © MEL

 

TV5MONDE : Comment en vient-on à réaliser un tel pèlerinage ?
 
 
MEL : J’ai toujours aimé la marche. Entre 2011 et 2012, j’ai effectué sur deux étés le pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle. Et, au cœur du mois d’août 2012, alors que je cheminais sur la partie espagnole, j’ai rencontré un pèlerin japonais qui m’a parlé de Shikoku et de son pèlerinage et qui a éveillé ma curiosité. De retour en France, j’ai eu du mal à me réacclimater à la vie « ordinaire » et sédentaire… alors que sur le chemin, je m’étais sentie intensément vivante.
 
 
Extrait de l’ouvrage : « Le chemin après le chemin ne fut pas chose aisée. Les retours de voyage ont toujours eu pour moi un goût amer. A peine rentrée, il me fallait rêver, une mappemonde sous mes yeux avides, et m’enivrer avec zèle de récits d’ailleurs et de noms enchanteurs ».
 
 
Les mots du pèlerin japonais m’ont alors revisitée. J’ai cherché sur internet des informations sur ce pèlerinage dont je n’avais jamais entendu parler et…
 
 
TV5 : Et vous faites le choix de partir seule avec un regard totalement vierge sur le Japon…
 
MEL : Pour moi, partir seule était une évidence. Si j’étais partie avec d’autres, jamais je n’aurais eu la même disponibilité d’esprit, la réceptivité dont j’avais besoin alors. Je sentais le besoin de me rassembler, de retrouver mon axe. Et c’est aussi en ce sens que je n’ai pas souhaité trop me renseigner sur le Japon avant de partir, pour préserver la magie et l’esprit de la pleine découverte.
 
 
Mon souhait était d’appréhender cette aventure japonaise le plus naturellement possible, sans passer par le filtre du mental, de retrouver ce regard neuf de l’enfance, riche de ne pas encore savoir, dense de tout ce qui lui échappe.
 
 
Pèlerins dans l'un des 88 temples
Pèlerins dans l'un des 88 temples © MEL

 

 
TV5 : Réaliser 1 200  km au cœur de l’été japonais, cela reste aussi une aventure physiquement éprouvante…
 
MEL : Lorsque que je repense à Shikoku, ce n’est pas l’épreuve physique qui me vient en tête en premier. Certes, lorsque l’on marche, nos membres se réveillent, on revient à l’école de nos pieds, à l’école de nos pas, de notre souffle, de la fatigue, bref à l’école de notre corps.
 
 
En sus, ce qui a compliqué les choses, c’est d’avoir réalisé ce pèlerinage en plein été, avec une chaleur moite qui peut monter jusqu’à 45° ! Cela démultiplie le ressenti des kilomètres et des dénivelés, au point que j’ai dû procéder à quelques petits délestages au cours de mon périple pour devenir de plus en plus légère.
 
 
Mais comme la vie est taquine, sitôt délestée, j’ai été comblée d’o-settai, ces offrandes faites aux pèlerins, principe d’accueil envers le pèlerin et même devoir religieux d’assistance fraternelle. Les pèlerins sont en effet véritablement considérés comme des intermédiaires entre les hommes et les dieux là-bas !
 
 
TV5 : Au-delà du cheminement des corps, on suit votre cheminement intérieur, et cette ouverture à l’Autre qui favorise les rencontres voire les précède.
 
MEL : C’est vrai que ce chemin est fort en synchronicités. Il apparaît ainsi jalonné de balises, de clins d’œil, de rencontres. Déjà, en marchant vers Compostelle, j’avais senti cette force des chemins qui nous amène à être là, tout simplement, comme si nous étions guidés par d’invisibles flèches ou mus par des fils imperceptibles nous invitant à avancer sur notre route.
 
 
À Shikoku, le plus troublant pour moi a été de perdre les clés de mon appartement le jour de mon départ, pour les retrouver au moment même où je posais le pied dans la province du Nirvana (le chemin de Shikoku est découpé en quatre provinces : Éveil, Ascèse, Illumination, Nirvana à mettre en correspondance avec le cheminement intérieur vécu par le pèlerin), comme un signe du chemin pour me montrer que le paradis est partout, et sa clé présente aussi et déjà dans mon quotidien… Un enseignement que je médite encore aujourd’hui.
 
Henro ou pèlerin japonais
Henro ou pèlerin japonais © MEL

 

 
TV5 : Et qui vous accompagne au jour le jour ?
 
MEL : Tout à fait. Ce chemin m’a appris à percevoir l’infini dans le quotidien, à trouver le bonheur dans des choses infimes, dans un rayon de soleil filtrant à travers les arbres, « dans le spectacle des rizières vacillant au gré de la brise légère », dans « le silence des sous-bois ».
 
 
Shikoku m’a appris à être attentive à ces petites choses qui acquièrent une densité incroyable lorsque l’on apprend à les percevoir. Mon regard sur le quotidien a changé. Ma qualité de présence également. Je n’ai plus l’illusion de l’ailleurs. Tout est déjà là et c’est à moi d’être là. Ce n’était pas mon quotidien qui manquait de densité, c’était moi qui étais absente au réel. Et c’est tous les jours que nous pouvons orienter notre regard, notre cœur vers les petits bonheurs de nos vies auxquels il importe tant d’être attentifs.
 
 
Christian Bobin a cette phrase magnifique pour exprimer notre difficulté à être pleinement présent aux choses : « C’est par distraction que nous n’entrons pas au paradis de notre vivant, uniquement par distraction ».
 
 
 
TV5 : Et si votre récit ouvre un chemin vers le Japon, un chemin plus intérieur, il porte aussi en lui un chemin vers les livres…
 
MEL : Je me suis toujours sentie nourrie par les livres. J’ai dévoré les récits de grands écrivains voyageurs comme Nicolas Bouvier, et j’ai fait mes premiers voyages à travers eux. Tous ces auteurs ont eu, et ont toujours, une place importante dans ma vie et, au fil de l’écriture, toutes ces voix qui se tissent sont arrivées naturellement dans le récit.
 
 
Le livret du pèlerin
Le livret du pèlerin © MEL

 

 
TV5 : S’il fallait encore et encore parler de ce chemin entêtant qu’est Shikoku ?
 
MEL : Je dirais que ce chemin est à la fois un voyage au loin et un voyage en soi. Et ses quatre étapes symboliques, Eveil, Ascèse, Illumination, Nirvana ont aussi pour but d’éveiller les pèlerins à cette dimension. Compostelle a été comme une première marche pour me mener à cette aventure initiatique.
 
 
TV5 : Croise-t-on quelques compatriotes d’un temple à l’autre ?
 
MEL : À l’époque où j’ai réalisé ce pèlerinage, pas un seul ! Il faut dire qu’au cœur de l’été brûlant, les gens ne marchent pas. Je n’ai croisé que quelques rares Japonais. J’ai toutefois sympathisé avec un couple de Taïwanais en voyage de noces qui portaient le souhait d’avoir un enfant – vœu qui s’est réalisé à leur retour, Kûkai ne doit pas y être pour rien ! – et à la fin du pèlerinage, un couple de Suisses.
 
En revanche, depuis la sortie de mon ouvrage, il a été remarqué un accroissement des pèlerins francophones sur Shikoku. Si ce partage a contribué à faire connaître ce pèlerinage,  je m’en réjouis !
 
 
Un des 88 temples du pèlerinage
Un des 88 temples du pèlerinage © MEL

 

 
TV5 : La question classique : et la prochaine marche ?
 
MEL : Eh bien, la prochaine marche, c’était l’an dernier ! Je suis en effet repartie en 2016 pour 1 800 kilomètres sur le Chemin de Saint François d’Assise, un chemin de paix qui, en deux mois et demi, m’a menée de Vézelay à Assise puis jusqu’à Rome. Encore un chemin riche d’enseignements, mais ça, c’est une autre histoire !
 
 
TV5 : Afin de conclure, quels conseils donneriez-vous à tous ceux qui rêvent de se lancer sur vos traces ?
 
MEL : Déjà, savoir que le pèlerinage de Shikoku peut s’adapter au rythme de chacun puisqu’il n’y a pas d’étapes prédéfinies. Je l’ai effectué au cœur de l’été mais le printemps et l’automne offrent les conditions idéales.
 
Ensuite, j’ai ajouté à la fin de mon ouvrage un petit guide qui donne des informations pratiques pour ceux qui souhaiteraient à leur tour se lancer dans cette aventure.
 
Et enfin, il est bon de savoir que tout le monde ne réalise pas ce pèlerinage des 88 temples à pied, beaucoup de Japonais le font en bus, en voiture, en scooter, à vélo. Tout est possible ! Il existe même des « Pèlerinage Tours »…
 
Et puis surtout, ne pas s’arrêter à des croyances limitantes telles que la barrière de la langue, par exemple. Les seules barrières sont celles que nous nous mettons nous-mêmes… Confiance, le chemin pourvoit à tout !
 
Marie Edith Laval, pèlerine
© MEL

 

 
———- ALLER PLUS LOIN———
 
À lire : "Comme une feuille de thé à Shikoku, Sur les chemins sacrés du Japon",
préface de Bernard Ollivier, Marie-Edith Laval, Le Passeur Editeur, 2015.
Aussi disponible en Livre de Poche, Collection « Spiritualités ». Traduit en allemand et en japonais.