Surnommé "la perle bleue de Mongolie" ou encore "le petit Baïkal", le lac Khövsgöl se transforme pendant l’hiver en immense étendue glacée. Chaque année au mois de mars, lorsque le printemps approche, les mongols de tout le pays voyagent jusqu’au Khövsgöl pour assister au festival des glaces, célébration de la beauté éphémère de la nature. Suivez-nous pour un voyage hors saison, à contre-courant.
Le Khövsgöl, ce n’est pas la porte à côté. À part les amateurs de voyages en traîneau à chiens, quelques givrés venus rouler en side-car ou une poignée d'adeptes d’ultra-trail, peu de voyageurs s’aventurent vers ce territoire glacé. Venir en plein hiver jusqu’à l’extrême Nord de la Mongolie se mérite, mais la récompense est grande.
Welcome to UB (prononcez youbee), capitale mongole où près de la moitié des 3 millions d’habitants du pays habite. Quitter Oulan-Bator et ses embouteillages ressemble à un grand départ vers une autre planète : la steppe. L’urbanisation démente s’estompe petit à petit jusqu’à ne laisser que l’immensité comme seul horizon. Cap au nord-ouest pour rejoindre Mörön, capitale de la province du Khövsgöl. 12 heures de voiture.
À la lisière de la Sibérie, le lac Khövsgöl impressionne d’abord par ses dimensions : 136 km de long et 36 km de large. Il abrite à lui seul 2% des réserves mondiales d’eau douce et 70% de l’eau douce du pays. Les nuages en Mongolie sont rares, les forêts et les reliefs aussi, excepté vers cette contrée septentrionale où les paysages prennent une autre dimension : mélange de steppe, de sommets alpins, de taïga et de forêts de mélèzes. Tout cet écosystème unique est classé Parc National depuis 1992.
L’hiver est long et rigoureux. Les vents de Sibérie du Nord amènent des vagues de froid et des températures glaciales. En ce début du mois de mars, on a gagné déjà quelques degrés. Il fait -20°, la nature est figée dans un silence polaire. Face à ces conditions de vie extrêmes, les mongols ainsi que les peuplades russes de la région honorent l’hiver en célébrant la vie, aussi rude soit-elle.
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Depuis quelques années, le festival des glaces est devenu un évènement important en Mongolie. L’ambiance est bon enfant avec des jeux, des chants diaphoniques et de la musique traditionnelle, des concours de sculptures sur glace et un petit marché avec restauration et artisanat local. On boit une tasse de thé au lait salé en mangeant quelques khuushuur, beignets de viande réconfortants. Les familles se sont mises sur leur 31 avec leurs longs deels, manteaux en peau de mouton, pour venir célébrer la fin de l’hiver et l’espoir des beaux jours.
Le Khövsgöl n’est pas un long lac tranquille. La glace est bien vivante, elle respire et chante même. Avec ses airs de patinoire sans obstacle, il est en vérité bien plus tourmenté qu’il n’y paraît. L’intimidant Khövsgöl vibre et craque. Au moment de poser pour la première fois les pieds sur l’étendue gelée, on a le vertige, le cœur palpite et le regard se fige sur la glace comme pour ne pas tomber. On n’apprend pas à marcher mais à glisser, avec un sentiment mêlé d’euphorie et d’appréhension. Combien mesure la couche de glace ? 1 mètre ? Peut-être plus, peut-être moins. L’euphorie l’emporte, on se sent immédiatement bien sur le Khövsgöl, en apesanteur, comme si on oubliait qu’au plus profond, il y a 260 mètres sous nos pieds.
Ce voyage au bout du monde illuminé par des paysages brillants est aussi rythmé par des rencontres d’une grande humanité. Faut-il rappeler que la Mongolie se distingue par sa densité de population parmi les plus faibles du monde. Ce peuple nomade d’éleveurs a une culture de l’échange et de l’hospitalité comme nulle part ailleurs. Probablement parce que les mongols sont peu nombreux et qu’avec un tel climat, ils ne laissent personne dehors. Ici, chaque rencontre a du sens, une importance salvatrice.
Même si les bousculements économiques ont lieu depuis plusieurs années en ville, l’agriculture et le système basé sur l’élevage demeurent l’élément central de la vie dans la steppe. Les migrations des nomades ont lieu aussi pendant l’hiver, les familles se déplacent avec leur yourte dans des vallées calmes à l’abri du vent. La priorité est de protéger leurs troupeaux des grandes vagues de froid, les malheureux dzuds. Ces phénomènes climatiques s’expliquent par un été caniculaire très sec entraînant un hiver glacial. La réduction des pâturages disponibles et le froid affaiblissent les bêtes, des troupeaux entiers sont décimés chaque hiver. De plus en plus de nomades sont contraints à l’exode rural et rejoignent Oulan-Bator en quête d’un meilleur avenir. Si certains doutent encore du changement climatique, les mongols peuvent témoigner des bouleversements en cours sur leur territoire continental.
Sur les rives déchiquetées du Khövsgöl, on passe la nuit au chaud dans une yourte. Le soir, on sort admirer le ciel étoilé lorsque tout d’un coup le silence est rompu par le chant du lac. Un craquement suivi d’un grondement qui avance, se rapproche puis s’éloigne comme le tonnerre. Le lendemain matin, le lac est calme et paisible, nous admirons une dernière fois sous les roues de notre camionnette russe le spectacle inoubliable de la glace et ses veinures qui défilent. Le soleil brille de plus en plus. Tout fondra au printemps.