
Pas une semaine sans que la presse de la société mauricienne ne parle des difficultés du secteur touristique à Maurice, petite île de l’océan Indien. Le tourisme qui y représente 24 % du PIB, 131.000 emplois et un nombre de visiteurs en constante augmentation n'est pas sans incidence. Le succès de la destination est tel que l'on dénombrait en effet plus de 1,3 million de visiteurs en 2018 contre 18.000 en 1970 ! Autant que la population ! On en imagine aisément les conséquences.
Selon Sen Ramsamy, directeur de Tourism Business Intelligence :
« La nouvelle génération de voyageurs dans le monde recherche bien plus que « soleil, plage et cocotiers ». Ils sont bien informés des tendances du tourisme moderne et veulent bien plus qu’une chambre d’hôtel pour se reposer. Le touriste, aujourd’hui, part à la découverte des peuples, de leur histoire, de leurs coutumes, de leurs cultures, de la mode, et recherchent le partage des valeurs, des différents styles de vie ».
Le secteur touristique et hôtelier de l'île connait actuellement une crise majeure. Celle-ci se manifeste notamment par une guerre des prix féroce qui résulte de la compétition entre les destinations - les Seychelles où la prise de conscience environnementale est peut-être plus en avance, et les Maldives -, mais aussi entre les hôtels de Maurice. Cette guerre a eu une triple conséquence : une baisse inquiétante de la qualité des services et des prestations, une baisse de la profitabilité des entreprises hôtelières et une dégradation de l’image de la destination et de son état réel. D’une destination exclusive, l'île est en train de devenir une « destination discount » en raison des prix bradés pratiqués par certains opérateurs. Il suffit d’ailleurs de se pencher sur le montant des dépenses moyennes quotidiennes des touristes pour le noter.
Le tourisme y serait ainsi devenu en quelques années et à quelques exceptions près, un tourisme de masse, attiré par les offres « all-inclusive » (tout-inclus), qui ne profite plus à la population locale et va au détriment du développement harmonieux de l’île elle-même et de sa préservation.
Pourtant, et c'est le paradoxe, au moment où le gâteau rapetisse, les maillons de la chaîne touristique et hôtelière se multiplient : tous les opérateurs veulent chacun avoir leur part. La transformation du littoral en foire d’empoigne opposant les différents opérateurs et les usagers – résidents des hôtels, résidents de la parahôtellerie, le grand public (ndlr : dont l’accès aux plages se restreint) – est une manifestation de la conséquence de dynamiques qui, laissées à elles-mêmes, sont tout simplement en train de laminer l’image de la destination. Il en est de même de certaines pratiques qui sont en train de faire un tort considérable au secteur. Cela va du marché de la contrefaçon, - certes en recul -, à des systèmes de commissions, en passant par des pratiques relevant de l’arnaque. Un constat presque accablant, déjà établi par la sociologue Malenn Oodiah dans la revue locale L’Express Maurice dès le 12 avril 2014.
Que dire également du respect des normes et de l’environnement ? Prenons l’exemple de la construction nautique, qui pourrait constituer une base solide de développement de l’économie bleue, mais qui se heurte aujourd’hui au nombre trop important d’embarcations de toutes sortes (importées), au manque de compétences locales et à l’absence d’infrastructures.
Depuis lors, la situation n’a guère évolué, accentuée par la crise de gestion du transport aérien, une communication aujourd’hui à effet pervers, qui a laissé croire que l’attrait de l’Île Maurice résidait uniquement dans ses plages (combien de fois entend-t-on de la bouche de touristes : « à Maurice, il n’y a rien à faire ! »). Toutefois, de nombreuses initiatives éco-citoyennes se mettent en place afin d’inventer un autre tourisme, - un tourisme durable -, pour redonner à l’île, sa splendeur passée en remettant la population locale au cœur du tourisme.
Depuis quelques mois, des initiatives se développent. Moris Otreman travaille en collaboration avec de « petits » opérateurs touristiques mauriciens, qui développent une démarche éco-responsable dans leur pratique. Qu’ils soient chefs de cuisine, guides naturalistes sur terre ou sur mer, créateurs ou développeurs de jardins développés selon les principes de l’agro-écologie ou de la permaculture, artisans et artistes, tous perpétuent, protègent ou font renaître le patrimoine de l’île. Derrière une assiette se profile l’histoire des épices et de sa route, derrière un arbre endémique comme le bois d’ébène, nous pouvons revivre la présence hollandaise, tout comme au pied d’un pamplemoussier, arbre apporté d’Indonésie à Maurice pour lutter contre le scorbut sur les bateaux de la Route des Indes Orientales.
Les idées foisonnent, les anciens bâtiments de l’époque coloniale rénovés, pourraient servir de résidences aux artistes mauriciens, aux artisans qui ont bien du mal aujourd’hui à se faire connaître et apprécier, noyés qu’ils sont aujourd’hui au milieu des importations chinoises, indiennes ou malgaches, ou également de lieux d’hébergement traditionnels, en complément et en valeur ajoutée de la belle offre hôtelière actuelle. Il est évidemment fondamental que Maurice conforte sa qualité hôtelière à l’intention d’une clientèle qui lui est propre, mais il faut jouer collectif et développer les synergies.
Jean-Baptiste, créateur de bijoux, fait découvrir son travail, mais aussi son village du sud de l’île, et Gaël présente son jardin de permaculture, espèces endémiques ou non, et prépare aux visiteurs un repas avec sa production. Les touristes, mais aussi les Mauriciens, qui ne connaissent pas toujours leur île et ses talents, partent ainsi à la rencontre de l’île « vraie », loin de la carte postale.
Aujourd’hui, Moris Otreman travaille étroitement avec Art4Freedom à la construction d’un programme de formation à l’intention de la jeunesse de la société mauricienne, programme construit sur 3 piliers, la nouvelle hospitalité, la croisée culturelle, la sauvegarde et la transmission des savoir-faire. Tous les acteurs mauriciens du tourisme durable peuvent le rejoindre, y présenter leur projet et participer au développement du réseau.
L’objectif ? Permettre en premier lieu à la jeunesse de la société mauricienne dans son ensemble de renouer avec son Histoire, de l’accepter et de la dépasser, parce que la période coloniale est un état de fait et qu’il semble plus judicieux d’en tirer profit, plutôt que de vouloir l’effacer ou de se complaire dans la douleur et le repentir, permettre aussi à l’invité de partager à son tour, de raconter son histoire ou de s’y replonger, de retrouver aussi ses racines parfois. La multi-culturalité de la société mauricienne joue ici pleinement son rôle. Mieux connaître l’Autre, c’est mieux le comprendre et l’accepter dans sa diversité et donc une démarche citoyenne.
Le temps d’un voyage, d’une visite, se reconnecter avec l’Homme et la Nature, prendre le temps de se rencontrer et de se parler.
Vivre le voyage à Maurice… autrement !
Pour en savoir plus, texte écrit par Eric Maquenhen de Moris Otreman
--------------------------------------------------------------- À lire aussi ----------------------------------------------------------------
Quand le tourisme de masse entraîne des mesures... originales
Le tourisme de masse est-il compatible avec le développement durable ?