Au pays où charcuterie et fromage sont rois, les végétariens peuvent encore être perçus comme de curieux hippies mangeurs d'herbe... Heureusement, depuis quelques années, l'image du végétarisme s'est mise à changer. A grands coups de vidéos choquantes sur les abattoirs, de messages alarmants sur l'impact de la viande sur la santé ou encore de chiffres sur les dégâts environnementaux engendrés par l'élevage, les végétariens et végétaliens ont su démontrer que non, manger végé n'est pas triste, et que c'est même très bon - pour l'estomac, les animaux et la planète. Dernièrement, quelques grands chefs français se sont mis à la page et ont revu leurs classiques pour démontrer qu'on peut végétaliser son assiette et (très) bien manger !
Jean Montagnard sera longtemps resté le seul grand chef entièrement végétarien de France : assumant pleinement son choix à une époque où le végétarisme était profondément marginal, le chef a ouvert son premier restaurant, l'Artisan gourmand, en 1978. Il proposait alors une cuisine 100% végétarienne, et fut le premier restaurant cité avec cette spécificité, en 1980, par Gault et Millau. Depuis, il n'a cessé de démontrer que gastronomie et végétarisme n'était pas antithétiques, et, qu'en plus de ses atouts santé, la cuisine végétarienne était riche en couleur, parfums et saveurs.
Malgré tout, Jean Montagnard n'a jamais vraiment trouvé de successeur ni croisé d'autre "apôtre" de la cuisine végétarienne gastronomique en France.
C'est donc seulement depuis quelques années que certains grands chefs actuels ont décidé de revoir les fondements de la cuisine gastronomique et de la végétaliser : pour ces derniers, fini le légume considéré comme simple accompagnement, posé là pour mettre en valeur la pièce de viande ou le morceau de poisson... Très ancrée autour des protéines animales, au détriment des protéines végétales (à commencer par les légumineuses, merveilleuses oubliées des cuisines françaises), la gastronomie française a du mal à se défaire de son schéma viande / poisson + accompagnement. La majorité des cours pratiques de CAP cuisine sont d'ailleurs axés autour de la découpe et de la cuisson de ces denrées.
Ancré depuis bien plus longtemps dans les pays anglo-saxons, le végétarisme est encore au stade embryonnaire de son développement sur notre territoire : pouvons-nous espérer que ces quelques grands chefs puissent insuffler un vent nouveau sur notre gastronomie et notre façon plus générale de percevoir la cuisine ?
Aujourd'hui en France, le "flexitarisme", qui consiste à diminuer son apport en protéines animales, semble la tendance la plus en vue. Par extension toutefois, le végétarisme et le végétalisme sont (enfin) mieux compris, et répandus. Joël Robuchon, l'un des plus grands chefs français actuels, a déclaré en 2014 que "la cuisine vétégarienne sera celle des dix prochaines années". Depuis, il a ouvert à Bombay un restaurant principalement axé sur le végétarisme – dans un pays où bon nombre d'habitants le sont déjà, par culture autant que par manque de moyens pour s'acheter de la viande. Il a également créé, pour plusieurs de ses restaurants français, un menu baptisé Food and life, entièrement végétarien et sans gluten, ou comment lier cuisine "santé" et haute gastronomie.
Le chef Thierry Marx, mis en lumière auprès du grand public via l'émission Top Chef, propose également des plats sans gluten, sans lactose et sans viande (pas encore vraiment végétarien donc, mais l'idée est là !) dans son restaurant Le Camélia, à Paris.
Mais c'est probablement Alain Ducasse, autre "pape" de la gastronomie française actuelle, qui s'est le plus engagé dernièrement en faveur d'une cuisine plus saine et plus végétale. A la réouverture en 2014 de son restaurant au Plaza Athénée, il a tout simplement rayé la viande de sa carte : honneur désormais aux produits de la mer ainsi qu'aux légumes, céréales et légumineuses. Les produits frais, bio et locaux sont mis en valeur, et Alain Ducasse est fier de prôner une cuisine plus légère et saine, que ce soit pour le consommateur comme pour l'environnement.
Cerise sur le gâteau : l'idée d'Alain Ducasse a su fédérer, et surtout faire des petits. En effet, l'un des ses disciples, le chef Christophe Moret, a su s'inspirer de cette "naturalité" et l'instaurer au sein de son propre restaurant, La Bauhinia, de l'hôtel parisien Shangri-La. Il y propose un dîner végétalien "100% green" tous les premiers jeudis du mois. Au menu notamment, un Bloody Mary de tomates ou nems de pastèques fourrés d'herbes à soupe, kacha (sarrasin décortiqué) et légumes verts en cocotte au lait d'amande, duo de navets et betteraves, tofu en beaux ravioli ou encore fraises au parfum de sangria et sorbet coco-lime... Christophe Moret va donc au-delà du végétarisme en ouvrant sur une cuisine entièrement végane, c'est-à-dire dépourvue de tout produit d'origine animale. Encore une fois, si les végétariens et végétaliens peuvent s'étonner qu'il ait fallu tant de temps aux grands chefs pour s'ouvrir à cette cuisine si riche en couleurs et en saveurs, saluons tout de même l'initiative, qui reste difficile à instaurer dans une gastronomie française si profondément ancrée dans ses pot-au-feu, navarin et autres bœuf-carotte !
Si ces initiatives, non-exhaustives de ce qui se développe depuis quelques années, sont belles à voir, le chemin vers un végétarisme assumé et banalisé s'annonce, malgré tout, encore long à parcourir.
Ces démarches, encourageantes, restent en effet confidentielles et incomparables avec nombre d'autres pays européens ou anglo-saxons, comme les Etats-Unis, l'un des pays chefs de file du mouvement végane, et où les chefs végétaliens sont pléthore ! La France saura-t-elle rattraper toutes ses années de retard et faire du végétarisme et végétalisme, comme le prédisait Joël Robuchon, la véritable cuisine de demain ?