C'est un tout petit pays, grand comme trois fois la Corse, à la jonction entre la Somalie, l'Éthiopie, l'Érythrée et le Yémen. Mais son golfe est sillonné, pendant trois mois de l'année, par les requins-baleines, les plus gros poissons du monde.
Chaque année, entre novembre et fin février, le golfe accueille une extraordinaire congrégation de jeunes requins-baleines. Oui, cette surprise-partie djiboutienne est réservée aux adolescents, les adultes préférant sans doute la quiétude du grand large gardent leurs distances et ne s'y montrent jamais. Pour avoir un aperçu de la fête, il faut longer la côte vers l'ouest un bon moment depuis Djibouti et ouvrir l'œil à partir de la Pointe de Ras Ero. Dans l'eau plus ou moins claire, de drôles de petits crabes roux nagent les pinces bien écartées en escadrilles confuses.
Le plus grand poisson du monde se fait attendre mais la chasse se révèle bientôt fructueuse. Sous la surface que le vent commence à guillocher, deux ombres aussi grandes que le bateau semblent faire du sur-place. Deux jeunots de 4 ou 5 mètres sont là, immobiles, gueule grande ouverte et branchies frémissantes, occupés à enfourner de bonnes lampées de plancton. L'un d'eux a la tête en l'air, en position presque verticale, plongé dans un abîme de réflexion. L'animal est loin d'avoir livré tous ses secrets.
« Il semble bien que la présence des requins-baleines soit liée à la forte productivité en phytoplancton de certaines zones du golfe comme la plage d'Arta », raconte Pierre Labrosse, chercheur en biologie marine à la faculté des sciences de Djibouti. « Il n'y a ici que des jeunes, ce qui pourrait conforter la théorie d'un golfe de Tadjourah jouant le rôle d'une grande nurserie. On pense qu'ils peuvent vivre 100 ans, mais qu'ils ne sont pas sexuellement mûrs avant l'âge de 35 ou 50 ans. »
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Depuis 2003, l'association Megaptera tâche d'identifier et de suivre les pérégrinations des requins-baleines du golfe de Tadjourah.
Plus de 400 individus y ont été recensés, tantôt par l'identification photographique, tantôt par des prélèvements génétiques. « Chaque année entre 40 et 50 sont aperçus et on retrouve environ la moitié d'entre eux d'une année à l'autre » explique Michel Vely, le président de l'association, « la plupart sont des jeunes entre 3,50 et 5,50 mètres. Le plus grand a été mesuré au laser à 7,50 mètres. Pour éviter les débordements de la part des touristes, nous essayons de mettre en place des règles d'approche et d'observation basées sur celles de Nigaloo Reef en Australie, mais ce sont les blessures infligées par les hélices de bateau qui constituent la plus grande menace à Djibouti. Alors, nous développons un projet d'installation de protège-hélices qui devrait profiter aussi bien aux plongeurs qu'aux requins ! »
Mais la plus grande énigme demeure ce qu'ils deviennent après le mois de février. Sortent-ils du golfe ou sondent-ils à des profondeurs telles qu'on ne les voit plus pendant 9 mois ? Diables de bestioles. Certaines poussent jusqu'au fond du golfe dans le fameux Ghoubbet-el-Kharab, là où l'Afrique de l'Est commence à se séparer du reste du continent, une dépression entièrement noyée par la mer et qui donne corps à bien des légendes.
Au-delà, une clarté aveuglante monte de la terre : c'est l'insoutenable réverbération de la banquise salée du lac Assal, où tout miroite et tremble, point le plus bas de l'Afrique. Sans doute l'un des endroits les plus inachevés de la planète. Et si ces grands poissons à l'air benêt, en s'approchant au plus près des entrailles de la Terre, en avaient percé les mystères et en savaient finalement bien plus que nous ?
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