Même quand on s’intéresse au tourisme responsable et qu’on tente, soi-même, de se comporter en voyageur respectueux, on ne pense sans doute pas à Londres lorsque l’on parle de tourisme “irresponsable”. Et pourtant… Derrière ses milliers d’hôtels qui accueillent chaque année des millions de visiteurs, Londres cache le mal-être profond de ceux sans qui rien ne serait possible.
Ils sont grooms, réceptionnistes, valets ou femmes de chambres, cuisiniers… et aujourd’hui, ils tirent la sonnette d’alarme, qualifiant leur capitale de “l’une des villes les moins éthiques du monde”. Ils ont beau être très, très nombreux, ils ne sont pas entendus et regrettent de n’avoir aucun pouvoir. Tous travaillent dans de grandes chaînes hôtelières, qui offrent à leurs clients des prestations 4 ou 5 étoiles, et tous souffrent aujourd’hui de se voir totalement déconsidérés.
Pendant que leurs employeurs voient leur bénéfice, déjà colossal, grossir chaque année, eux, les employés, continuent de n’amasser que des cacahuètes. Alors aujourd’hui, ils tentent de s’unir pour faire entendre leurs voix – et leurs droits.
L’un des problèmes majeurs est que leur gronde a du mal à se faire entendre : il n’existe pas, en Angleterre, de syndicat hôtelier. Ils n’ont donc pas de porte-parole ni de moyens de se réunir de façon légale et officielle. C’est donc avec l’aide de l’organisation Unite the Union qu’ils ont créé les London Hotels Workers : un moyen non-officiel (du point de vue des employeurs) de se rassembler et de faire face, ensemble, aux abus liés à leur profession.
Un moyen également de faire face à la pression des employeurs, auprès desquels peu osent se plaindre : “si vous n’êtes pas content, vous savez où se trouve la porte”, voilà leur slogan préféré. Une vision bien archaïque et inhumaine du travail.
S’ils tentent aujourd’hui de faire entendre leurs revendications, c’est parce qu’ils ont honte de ce que l’industrie hôtelière a fait de leur capitale, et qu’ils ont le sentiment, chiffres à l’appui, d’être parmi les plus maltraités au monde. Comment une ville comme Londres, si attractive, si populaire, si belle, peut-elle aussi mal considérer ceux qui la font vivre ?
Le tourisme à Londres est en progression constante, avec un taux d’occupation de 84% en 2015, tandis que le prix moyen d’une chambre est de 145£, un chiffre également en augmentation. Le demande est plus forte que l’offre, et les hôteliers savent en profiter. A contrario, plus de 80% des employés d’hôtels touchent moins que le Living Wage britannique (l’équivalent de notre Smic), 70% d’entre eux sont issus de l’immigration, et la totalité travaille bien au-delà des heures légales.
Le mépris des employeurs vis-à-vis du personnel hôtelier atteint parfois des extrêmes : qu’ils soient cuisiniers, femmes de chambres ou portiers, tous ont pour habitude de commencer plus tôt ou de finir plus tard, sans pour autant être rémunéré pour ces heures supplémentaires. Ils sont au moins la moitié à n’avoir pas ou peu de pauses, et à manger en quatrième vitesse pour assumer un fort taux de remplissage et/ou un manque de personnel. Ils ne sont également jamais informés de la façon dont les pourcentages sur les pourboires sont calculés, et n’en retirent que ce que leurs employeurs veulent bien leur donner.
“Je suis épuisé de travailler 16 à 18 heures par jour, sept jours par semaine, et sans aucune reconnaissance de mes supérieurs. Je fais 60 à 80 heures semaine, mais ne suis payé que mes 40 heures légales”, se plaint un chef de cuisine.
“Vous n’êtes que de la poussière pour eux, tandis que leurs clients sont des rois, explique une femme de chambre. Un jour, j’étais dans le bus alors que ma prise de poste commençait à 8h30. Je reçois un appel pour me dire : “oh, vous ne travaillez pas aujourd’hui”. Et c’est normal, c’est comme ça que ça fonctionne.”
Elle ajoute : “beaucoup d’entre nous sont immigrés et ne maîtrisent pas très bien l’anglais. C’est un choix de leur part : ils ne veulent pas de personnes qui puissent discuter de leurs droits”.
Afin d’appuyer leur propos, les employés ont, dans une brochure destinée à rassembler leurs revendications et à expliquer leur situation, mis en comparaison la capitale britannique avec la Grosse Pomme. L’objectif ? Démontrer que si Londres et New York partagent beaucoup de points communs, il n’y a pas de raison que les traitements des employés de l’hôtellerie diffèrent autant.
“Les salariés des hôtels new-yorkais ont des emplois sûrs et très bien rémunérés. Ils ont des opportunités pour développer leur carrière. Leur contribution envers le secteur hôtelier est reconnu et valorisé, et, surtout, ils sont traités avec respect et dignité. (…) Alors pourquoi une telle différence ? C’est simple, les employés de l’hôtellerie new-yorkaise ont des syndicats, ils sont membres de leur propre organisation collective qui leur permet de s’opposer aux décisions de leurs employeurs et de négocier des salaires qui leur permettent d’obtenir une réelle qualité de vie, tout en permettant aux chaînes de faire du profit.”
Aujourd’hui, les membres des London Hotels Workers réclament donc les mêmes droits que leurs homologues outre-atlantique ; des droits qui paraissent pourtant fondamentaux et évidents venant d’une grande ville occidentale comme Londres. Des salaires décents, de la sécurité, des horaires fiables et respectés, des perspectives d’évolution de carrière et un collectif reconnu pour les représenter : le minimum, en somme. Le minimum pour ne pas que Londres devienne le côté obscur du tourisme d’aujourd’hui.