On connaissait l’excellent ouvrage paru en 2010 de l’ethnologue et sinologue Caroline Grillot sur les mariages entre femmes vietnamiennes et maris chinois. Une nouvelle bande-dessinée de Clément Baloup – Les mariées de Taïwan – vient apporter un nouvel éclairage sur ces destins de Vietnamiennes lorsqu’elles choisissent plutôt de se tourner vers des époux taïwanais.
Après un travail de terrain difficile car le sujet est délicat et protéiforme, on découvre grâce aux dessins saisissants de réalisme et d’une beauté froide voire fantastique de Clément Baloup : le monde des femmes vietnamiennes incitées à émigrer vers Taïwan pour trouver un mari et aider ainsi leur famille restée sur place à subvenir à leurs besoins.
A l’image de Caroline Grillot qui avait su avec finesse, dresser des portraits différenciés de ces femmes qui ont chacune leur propre histoire, Clément Baloup fait également le choix d’associer à son personnage principal une galerie de portraits qui s’intègre parfaitement à l’ouvrage et permet de prendre en compte la part des destins personnels sur les nombreuses raisons qui mènent ces femmes à l’émigration.
Ainsi, au-delà du personnage principal, Linh, qui décide de partir se marier à Taïwan suite à une rencontre avec une vieille entremetteuse de son village, qui n’est autre qu’un des maillons d’un trafic de femmes réalisé par des pseudo- agences matrimoniales, d’autres femmes apparaissent dans l’ouvrage, autant de destins incertains…
L’ouvrage s’achève en s’interrogeant sur la place à venir de la Chine dans ce trafic au moment où la pression des associations taïwanaises a réussi à faire évoluer la loi. C’est peut-être là le seul bémol à cette saisissante bande dessinée, car ce commerce inhumain existe bel et bien en Chine et ce depuis la nuit des temps. Déjà, les écrits du temps de l’Indochine française attestent de cette réalité, héritage des rapts de femmes organisés pendant les invasions militaires.
Puis le phénomène de la traite s’est intensifié avec le déséquilibre du ratio homme-femme en Chine. Il a été porté à la connaissance du grand public avec la réouverture des frontières entre la Chine et le Vietnam et le contrôle des migrations. Caroline Grillot : « Depuis le rétablissement des relations diplomatiques entre la Chine et le Vietnam en 1991, la Chine est obligée de respecter les conventions internationales sur les migrations. En parallèle avec la montée des lobbys contre le trafic humain dans le monde, le trafic des femmes vietnamiennes vers la Chine a alors été rendu plus visible. Mais il existait déjà sous d’autres vocables depuis bien des siècles ».
Le livre de Caroline Grillot nous apporte aussi un éclairage sur les raisons pour lesquelles ces femmes vietnamiennes acceptent souvent de partir. Or, au-delà d’une argumentation conventionnelle mettant en avant les écarts économiques entre ces zones rurales pauvres et monde chinois plus avantagé, ou le déséquilibre démographique (différentiel du ratio homme-femme en Chine), il faut aussi noter des facteurs sociologiques essentiels.
Les femmes vietnamiennes optent souvent elles-mêmes pour un autre choix marital que l’homme vietnamien dont l’image de mari paresseux, peu enclin aux tâches domestiques, souvent alcoolique voire violent n’incite pas à rester au pays… Et c’est ainsi qu’elles finissent par tomber entre les mains de ces réseaux informels peu fiables et finissent prises en étau entre deux Chines rarement complaisantes à leur égard.
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Volées, envolées, convolées…
Vendues, en fuite ou re-socialisées : les « fiancées » vietnamiennes en Chine. Caroline Grillot. IRASEC. Connaissances et Savoirs. 2010.
Les mariées de Taïwan, Mémoire de Viet Kieu, Volume 3, La Boîte à Bulles, janvier 2017