Au mois d’avril dernier, le Mexique a organisé un colloque sur le thème du développement durable et de la gastronomie. Au cours des différentes allocutions, la place du tourisme a largement été évoquée. Invité à participer aux débats, Pierre Torrente, enseignant, directeur adjoint de l'ISTHIA (Institut Supérieur de Tourisme Hôtellerie et Alimentation) de l’Université Toulouse Jean Jaurès, revient pour nous sur les principaux points abordés.
TV5MONDE : Vous avez participé au colloque mexicain « Développement durable et gastronomie », quels en ont été les principaux enseignements ?
Pierre Torrente : J’ai tout d’abord été impressionné par l’importance de la gastronomie au Mexique et le lien très fort qui existe déjà entre le patrimoine gastronomique, l’identité culturelle des territoires et les populations. Ils ont tout à fait compris la relation entre patrimoine gastronomique et activité touristique, combien cela pouvait être un élément de valorisation de leur identité. C’est une prise de conscience très claire qui existe du plus haut sommet de l’État jusqu’au territoire. En outre, ce colloque était organisé dans le cadre d’échanges dans l’enseignement supérieur et la recherche à l’initiative du MAE français, et sur cette thématique, l’offre de formations au Mexique est très riche. Cela peut donc tout à fait faire écho avec ce qui se développe dans certains centres de recherche en France, les points de synergie sont importants. Un collègue de l’Institut européen d’histoire et des cultures alimentaires de Tours était présent et travaille sur ce terrain commun. En France, on est certes très avancé sur la recherche mais beaucoup moins sur l’application terrain, sur la relation entre patrimoine et gastronomie.
TV5 : Quels sont les aliments ou circuits alimentaires les plus valorisés sur le territoire mexicain et existe-t-il d’ores et déjà des circuits centrés sur la gastronomie ?
PT : La gastronomie mexicaine est très variée, elle est le fruit d’une culture très riche où de nombreuses communautés ont leur propre identité. C’est ce socle culturel empreint de savoir-faire agricoles et communautaires ancestraux qui est à son origine. C’est ce que l’Unesco a voulu souligner en classant la cuisine traditionnelle mexicaine au patrimoine culturel immatériel de l’humanité. La base du système fondée sur le maïs, les haricots et le piment chili auquel il faut ajouter des modes de cultures et de préparation qui varient selon les régions et les communautés en font une source de variété importante.
TV5 : Lors de l’élaboration des circuits, la notion de circuit court et de valorisation des terroirs est-elle prise en compte ?
PT : Cette question est bien sûr importante mais très occidentale voire européenne. En effet au Mexique, la gastronomie issue des communautés a été souvent délaissée au profit d’une cuisine plus internationale et en particulier nord-américaine. Aujourd’hui grâce à la prise de conscience de l’importance de sauvegarder, voire de développer cette gastronomie, renforcée par le classement par l'Unesco, les communautés s’intéressent à la valorisation de leur patrimoine gastronomique.
De fait, la notion de circuit court est inscrite dans le mode de valorisation car c’est à partir de leurs propres productions que les communautés élaborent les plats et les valorisent parfois à des fins touristiques. Par exemple, dans la région de Oaxaca, nous avons travaillé sur la route touristique du Mezcal qui s’est mise en place grâce à la volonté du secrétariat au tourisme de la province. Elle permet aux touristes de suivre la production et la transformation de cette plante en alcool proche de la Tequila.
TV5 : Existe-t-il un inventaire de la gastronomie au Mexique ?
PT : Oui, il existe non pas un mais des inventaires du patrimoine gastronomique au Mexique. Ce travail nécessaire pour l’inscription de la cuisine au patrimoine culturel immatériel de l’humanité a démarré en 2006. Il reste complexe au regard de la richesse et de la variété de la gastronomie mexicaine. On constate de nombreuses initiatives qui proviennent de la communauté scientifique et universitaire mexicaine, des chefs mexicains se sont également structurés en association pour promouvoir leur cuisine.
Avec ma collègue Miriam Bertan de l’Université Autonome de Mexico, nous travaillons actuellement dans l’état de Oaxaca avec la communauté Zapotèque pour réaliser l’inventaire du patrimoine gastronomique à partir des recettes et des savoir-faire et nous utilisons le tourisme comme outil de valorisation. Nous sommes pour cela assistés de la Fundación Alfredo Harp Helú Oaxaca qui construit le centre culturel de la gastronomie.
TV5 : Le touriste mexicain est-il réceptif à ce type de circuits ou est-ce avant tout des produits destinés à une clientèle internationale ?
PT : Il est trop tôt pour le dire. Le Mexique est connu à l’international comme une destination culturelle et en particulier pour son histoire et son patrimoine matériel. Les circuits des grands tour-opérateurs mettent en avant le patrimoine archéologique mais aussi les villes et les plages. La gastronomie figure toujours parmi les propositions mais elle est souvent considérée par la clientèle internationale comme un « plus » dans le séjour.
Pour ce qui est de la clientèle nationale, la prise de conscience de la richesse gastronomique mexicaine est un phénomène récent. Jusqu’à présent cette gastronomie a souvent été délaissée au profit d’une cuisine nord-américaine, synonyme de modernisme. Le classement par l’Unesco et les différentes actions engagées par l’Etat mexicain en faveur de cette richesse gastronomique dans un souci de développement social et de lutte contre l’obésité laissent à penser que dans les années à venir, la gastronomie risque de devenir pour le Mexique un objet de destination.
TV5 : En suivant l’exemple mexicain, quels types de produits et circuits en lien pourraient-ils être à imaginer dans le massif pyrénéen ?
PT : L’exemple mexicain n’est pas unique et n’est pas le premier. D’autres territoires comme le Vietnam ou l’Équateur ont déjà engagé cette réflexion et ont mis la gastronomie au centre des enjeux de développement. L’idée est de procéder à l’inventaire systématique du patrimoine gastronomique qui permet de retrouver à partir des recettes des cultures abandonnées que l’on peut remettre en production. Elles pourront par la suite être valorisées par l’activité touristique. À l’image de ce qui se fait au Mexique, les grands chefs jouent ici un rôle majeur. Cette valorisation de l’activité gastronomique par le tourisme présente le double avantage de permettre une réappropriation de la gastronomie par les populations locales et de faire baisser la pression sur l’activité touristique lorsque celle-ci est en mono activité sur le territoire.
Dans le massif pyrénéen, des initiatives ponctuelles existent avec de belles réussites. Mais il me semble indispensable aujourd’hui, d’envisager sur ce massif un inventaire complet du patrimoine gastronomique et d’en faire un vecteur important de développement territorial. Ceci est important pour le devoir de mémoire qui est le nôtre mais aussi parce que le changement climatique auquel nous assistons nous impose de réduire la place du tourisme et en particulier de la neige dans l’économie. A cela il faut ajouter une nécessité impérieuse de remettre en culture des territoires pour préserver des paysages qui sont souvent la matière première de nos territoires touristiques et en train de fortement se détériorer.