Tourisme durable

Le cercle, cœur battant des danses du Mali

22 Février 2022 - Art / Culture / Entretien / Portrait
L’Afrique de l’Ouest marque tout voyageur qui la découvre : il y apprend une manière nouvelle de communiquer et d’entrer en lien… Il y découvre aussi une culture aux antipodes de l’Occident. Le Mali a longtemps été plébiscité que ce soit pour ses paysages ou pour sa riche culture, qui, aujourd’hui encore, gagne à être connue. Immersion dans les danses maliennes !


La place de la danse au Mali

 
La danse est un pan majeur de la culture du Mali. La notion de "danses maliennes" est née après l’indépendance de 1960 avec la formation des ballets folkloriques. Créés pour représenter la culture malienne à l’international, ces ballets réunissent les danses des diverses ethnies du pays (peul, khassonké, soninké etc.). Dans ce cadre, un travail massif de collecte de répertoires a été réalisé auprès des meilleurs danseurs de tout le territoire. Le Ballet National du Mali garde intacts ces répertoires scénarisés dans les années 1960. Des ballets privés ont ensuite développé une identité propre, prenant parfois des libertés avec ces répertoires classiques. Aujourd’hui, par manque de moyens, les ballets folkloriques sont moins influents que dans les années 1970 et 80 où de magistrales tournées internationales étaient organisées.
 
 
Les artistes Manu et Dramane Sissoko, passeurs de la danse malienne ©Valeria Fioranti
Les artistes Manu et Dramane Sissoko, passeurs de la danse malienne ©Valeria Fioranti

 

La danse occupe traditionnellement une place centrale dans les fêtes et les cérémonies du Mali. C’est notamment le cas dans les mariages et les baptêmes célébrés en extérieur à même la rue, où une grande place est réservée aux musiciens et danseurs. Ces festivités permettent le développement de la musicalité des Maliens : quand un enfant est habitué à côtoyer des musiciens et des danseurs dans la rue, à voir sa propre mère danser, par mimétisme et dès le plus jeune âge, il s’entraîne à son tour à danser et à jouer de la musique. Une conscience de ces arts se développe alors avec facilité.
 
Aujourd’hui à Bamako, la danse a moins de place dans la vie de tous les jours. Dans les fêtes, aux représentations des musiciens et danseurs sont préférées des musiques enregistrées sur lesquelles des chanteuses font de longues louanges en l’honneur des personnes célébrées. Dans les villages, la notion de danse reste prégnante et les enfants développent encore ce sens de la danse et de la musique.
 
 
Fête dans les rues de Bamako © Odi Le
Fête dans les rues de Bamako © Odi Le


 

Entre ancrage et ouverture
 

Manu Sissoko est l’une des plus grandes expertes des danses du Mali. Danseuse chorégraphe et pédagogue, elle enseigne les danses du Mali depuis plus de vingt ans. 
Elle s’est tout d’abord rapprochée de l’Afrique en écoutant beaucoup de reggae, puis sont venues à ses oreilles les grandes voix maliennes telles que Nahawa Doumbia, Oumou Sangaré, Ami Koïta ou Kandia Kouyaté. Elle découvre les danses d’Afrique de l’Ouest dans sa Bretagne natale et, dans les danses de cercle, elle voit comment le corps seul peut s’exprimer. Cette découverte la fascine. Elle entreprend des recherches sur les liens entre les cours partagés en France et ce qui se passe dans les villages du Mali. Ces premières recherches sont fondatrices : elle se spécialise en ethnologie puis en ethnomusicologie à l’université de Nanterre. Elle réalise un premier travail de terrain sur la communauté khassonkée de Paris et part ensuite au Mali pour trois mois de recherche. 
 
Ce voyage scelle sa vie. Elle y réalise qu’elle veut devenir danseuse et rencontre celui qui deviendra son mari. Après quelques allers-retours entre la France et le Mali, elle revient vivre à Bamako pour une année, où elle intègre le Ballet du District. Les dix saisons suivantes, basée à Paris, elle passe chaque année trois mois au Mali, où elle continue à danser avec le Ballet du District et danse pour de nombreuses fêtes. Ces années sont nécessaires pour l’appropriation du répertoire de danses maliennes en général et khassonkées en particulier et lui permettent de créer sa propre pédagogie. Depuis, elle continue à danser et enseigner en France et au Mali, où elle voyage régulièrement.
 
 
Manu Sissoko ©Valeria Fioranti
Manu Sissoko ©Valeria Fioranti

 

 
L’artiste témoigne de l’importance de ses années en Afrique.
 
"Au Mali, j’ai avant tout appris à être un meilleur être humain. J’y ai appris à penser la cohésion, la collectivité et la communauté. À penser le bien collectif avant le bien individuel." 
 
Vingt années après avoir commencé à explorer les kéné, espaces de danse en bambara, sa plus belle rencontre malienne reste celle avec la famille de Dramane Sissoko, son conjoint. "S’il est devenu mon mari, c’est notamment car il est le fruit de gens que j’ai tellement admirés, dont j’ai aimé à la fois le rapport à autrui et à leur propre culture."
 
Grâce à leur passion commune pour la musique et la danse, l’artiste découvre des personnes dont la manière d’appréhender les traditions la touche.
 
"Les membres de ma belle-famille sont très ancrés et en même temps très ouverts sur l’autre. Ils incarnent pour moi le juste équilibre entre l’ancrage et l’ouverture."
 
Siriman Sissoko, le père de Dramane, était instituteur : grâce à lui la famille a eu une ouverture certaine sur l’Occident… sans pour autant perdre leur ancrage unique dans la culture mandingue. En effet, la mère de Siriman et pilier de la famille, Dédé Kouyaté est une griote, comme on nomme en Afrique de l’Ouest ces poètes spécialisés dans la louange et la déclamation des récits historiques. Elle est la référence ultime en matière de danse et de chants chez les Khassonkés : "Dédé est connue et reconnue dans tout le Mali pour son adaptation du chant populaire Mali Sadio, mais aussi pour son excellente mémoire : elle connaît l’histoire de toutes les familles Khassonkées et de leurs ancêtres. Elle chante pour tout le monde et sait aussi mettre la danse en valeur. Elle partage toujours de bons conseils."
 
C’est notamment en dansant auprès d’elle que Manu se fait à son tour passeuse de la culture malienne.
 
La griote Dédé Kouyaté © Odi Le
La griote Dédé Kouyaté © Odi Le


 

La danse, un modèle de vivre ensemble 

 
Dans les danses maliennes, le corps permet de dire des choses sans avoir besoin de passer par les mots ou même la conscientisation. Ce sens de l’expression corporelle est très développé chez les femmes maliennes.
 
"Quand tu sais lire le corps, tu sais lire la personne en face de toi. C’est ce que je développe dans mes sessions de danse, en m’inspirant de ce que j’ai vu chez les danseuses maliennes. Il faut arrêter de passer par la tête pour que le corps prenne le dessus."
 
Danser à l’image des femmes maliennes est une histoire de confiance : confiance en son propre corps et dans le corps de l’autre, où la communication passe par une empathie kinesthésique. La manière dont un danseur guide ou se laisse guider en improvisation est révélatrice. Cette relation se joue entre danseurs, mais aussi entre les musiciens et les danseurs, et enfin, entre les danseurs et les personnes qui assistent à la représentation.
 
Les danses maliennes se passent souvent dans un cercle de spectateurs qui peuvent devenir eux-mêmes danseurs. Au Mali, tout danseur est obligé de danser avec un temps d’expression libre où il est regardé par les gens autour de lui, le fameux cercle. C’est un moment unique pour que les gens autour de lui le voient s’exprimer. 
 
"Le cercle est la première chose qui m’a marquée avec les danses maliennes, j’ai été admirative de ces femmes magnifiques qui n’ont aucune ou très peu de honte à venir, à danser, à regarder les musiciens en face."
 
"Elles sont libres de leurs mouvements et de tout leur corps... C’est admirablement touchant. C’est quelque chose de l’ordre d’être en vie, de l’ordre du vivre ensemble."
 
 
La danse de Manu Sissoko en vidéo :

 

 
 
En savoir plus sur Manu Sissoko et les danses du Mali :