
Trente ans après la fin de la guerre de Bosnie, le souvenir du conflit est encore très présent chez les habitants. Tiraillées entre devoir de mémoire et nécessité de s'inscrire dans la modernité, les villes de Sarajevo et Mostar tentent de se reconstruire en partie autour d'un tourisme du souvenir.
Entre le 6 avril 1992 et le 10 octobre 1995, Sarajevo a vécu sous une grêle de mitrailles et d’obus qui tombait des collines alentours où des nationalistes serbes avaient pris position. Parmi les 350 000 habitants pris au piège, 11 000 périrent.
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Severin, qui a vécu dans la ville assiégée, se rappelle : « Ces montagnes qui étaient notre fierté pendant les JO de 1984, notre jardin de tous les jours, étaient devenues une menace mortelle ». La longue avenue Zmaja od Bosne a gardé le surnom de Sniper Alley. Plus d’un millier de personnes y ont été blessées et 225 y sont mortes sous les balles des tireurs embusqués serbes. Entre des bâtiments flambant neufs, d’anciennes façades exhibent encore des impacts de balles et d’obus.
À quelques kilomètres de là, dans une banlieue banale, se trouve l’entrée du tunnel Spasa, long de 800 mètres. Creusé sous les pistes de l’aéroport, il permettait de ravitailler la ville, mais aussi de convoyer des armes ou d’évacuer les blessés.
Aujourd’hui, les cinquante premiers mètres sont ouverts à la visite et c’est amplement suffisant pour réaliser combien il était pénible de s’y déplacer. Alors que le tunnel compte parmi les lieux les plus visités de la ville, Mina, la soixantaine, trouve qu’il est encore trop tôt pour en faire un musée : « J’ai pris ce tunnel pour exfiltrer ma fille de 14 ans. On avançait tête baissée dans le boyau étroit, les pieds dans l’eau, éclairés par des bougies. On se tapait la tête contre les poutres de bois. À la sortie, les grenades pleuvaient. Ma fille est montée dans un bus pour l’Allemagne. Je pensais ne jamais la revoir ».
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Impossible pour les Sarajéviens d’oublier la guerre, car elle fait partie d’eux-mêmes, mais qu’en faire alors ? Si certains veulent tourner la page une bonne fois pour toutes, d’autres voient dans le tourisme de mémoire un moyen d’attirer des visiteurs tout en dénonçant les horreurs de la guerre.
À 130 kilomètres de Sarajevo sur la route qui mène à Dubrovnik, Mostar se déploie sur les deux rives de la Neretva. Autre ville martyre de la guerre de Bosnie, Mostar a vu son Vieux Pont du XVIème siècle être détruit par les forces armées croates en 1993, lui qui avait résisté jusqu’alors à tous les conflits.
Entièrement reconstruit en 2004 avec les pierres récupérées dans le lit de la rivière, le nouveau Vieux Pont accueille comme autrefois les jeunes Mostaris amateurs de plongeons spectaculaires. Se jetant dans le vide, ils fendent avec leurs mains jointes l’eau glaciale de la Neretva quelque 25 mètres plus bas. Chaque été, le pont accueille une compétition internationale de plongeons dans laquelle brillent les enfants du pays. Pour Selvir qui ne se risque pas à plonger, le pont est un symbole de paix : « il relie les deux rives et les différentes cultures de la Bosnie-Herzégovine comme pour nous dire qu’on doit vivre tous ensemble. »
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