"La Forteresse des âmes mortes" : voyage au cœur du taoïsme chinois

30 Avril 2025 - Culture / Histoire

Au centre de la Chine se dresse un lieu où les frontières entre le monde des vivants et celui des esprits s'estompent. C'est là que Sandrine Chenivesse a entrepris un voyage hors du commun, une immersion profonde dans le taoïsme.

Autel entrée Temple du Pic de l'Est à Fengdu © Sandrine Chenivesse

Sandrine Chenivesse est sinologue, anthropologue des religions chinoises, psychanalyste en transgénérationnel, et écrivaine. Son parcours, riche de séjours prolongés dans l’Empire du Milieu, l'a conduite à une exploration approfondie de ce pays. Elle s'attache à décrypter les dimensions spirituelles, religieuses et philosophiques des savoirs ancestraux chinois, offrant une perspective unique sur cette culture.

Fengdu, porte d'entrée vers l'au-delà

Dès ses études à l'École Pratique des Hautes Études à la Sorbonne, Sandrine Chenivesse est captivée par la Forteresse des âmes mortes. Cet endroit se révèle être bien plus qu'un lieu géographique. Île-montagne au départ uniquement imaginaire, c'est une porte d'entrée vers l'au-delà taoïste, un espace sacré où les âmes des défunts transitent, guidées par les rituels ancestraux. Autour de l’An Mille, ce lieu est situé dans la ville de Fengdu, dans la province de Sichuan. La Forteresse des âmes mortes devient un site de pèlerinage majeur, une tradition qui perdura jusqu'au début du XXe siècle.

Poussée par une soif de connaissance, l’étudiante entreprend un voyage solitaire en Chine afin de percer les secrets de ce haut lieu spirituel. Au cours de son séjour à Fengdu, elle est notamment confrontée à la réalité des "mal-morts", ces défunts décédés violemment, dont le deuil est difficile et douloureux.

Petit autel pour les mal-morts au temple du Pic de l'Est © Sandrine Chenivesse

Le taoïsme et le chamanisme en Chine

Au fil de ses découvertes, Sandrine Chenivesse nous ouvre les portes du taoïsme, profondément enraciné dans le chamanisme qui l'a précédé.

Le taoïsme, expression la plus élevée d’une tradition religieuse authentiquement chinoise, est la religion la plus pratiquée, même si au cours de son histoire la Chine a adopté et absorbé nombre de religions étrangères, dont le bouddhisme. - Sandrine Chenivesse

Sandrine Chenivesse explique : "Pourtant le taoïsme est resté méconnu en Occident jusqu’aux années 1980, principalement en raison du manque de documentation par les Jésuites qui, bien qu'exposés à ses manifestations quotidiennes dès le XVIe siècle, privilégièrent leur allégeance au pouvoir impérial et la description du confucianisme, érigé en culte d’État." Le taoïsme émerge dans les derniers siècles avant l'ère chrétienne. L’anthropologue poursuit son explication : "Il est lié au chamanisme, la plus ancienne religion en Chine et dans le monde, qui permet le passage de frontières subtiles entre les mondes visible et invisible."

Le taoïsme et le chamanisme sont étroitement liés, le premier ayant intégré de nombreux éléments du second lors de son développement. Aujourd’hui encore, le chamanisme reste présent au cœur de nombreux rituels taoïstes. - Sandrine Chenivesse

Le Chamane Qiu Ping lors d’un rituel du rappel des âmes © Stephan Gladieu

À l'origine, le taoïsme est fortement axé sur la recherche de l'immortalité physique avec des pratiques telles que l'alchimie, la diététique et les exercices de préservation de l'énergie vitale. Cependant, au IIe siècle de notre ère, une époque de grands bouleversements et de guerres en Chine, suite à l’effondrement de l’empire des Han, le taoïsme commence à évoluer, intégrant une dimension d'organisation sociale et de révolte contre le pouvoir établi.

Le taoïsme se structure alors autour de communautés autonomes, organisées grâce à leurs temples et leurs cultes locaux. Contrairement à la conception occidentale de la religion, le religieux ne se différencie pas du social en Chine, le temple servant de centre communautaire pour diverses activités du quotidien. - Sandrine Chenivesse

"Cette organisation décentralisée et en réseau, fondée sur le partage de l'encens d’un temple à d’autres, scelle de profonds liens de solidarité entre les villages, permettant au taoïsme de constituer une sorte de contre-pouvoir potentiel face à l'autorité impériale" explique-t-elle.

Un voyage intérieur universel

Dans "La Forteresse des âmes mortes", l’anthropologue nous guide aussi dans une exploration profonde de notre rapport à la vie et à la mort. Elle nous accompagne dans une quête de sens, une réflexion sur les thèmes universels de la mémoire et de la transmission.

Le Tao, concept central du taoïsme, est "une voie de transformation, un principe à la fois immanent et transcendant qui sous-tend l'univers. Le processus spontané agit par l’alternance des polarités Yin et Yang, il met l'accent sur l'interdépendance de toutes choses, où tout est relié." Dans un monde occidental souvent caractérisé par une vision dualiste et une séparation entre l'homme et son environnement, le taoïsme offre une perspective précieuse sur l'importance de la symbiose avec la Nature, dont l’humain fait partie intégrante, et de la relation.

Avec une plume empreinte de poésie, Sandrine Chenivesse nous convie à cette exploration profonde, à la fois géographique et spirituelle. Une invitation passionnante à nous ouvrir à d'autres façons de penser et de voir le monde .