
Acteur populaire particulièrement apprécié des Français, Pierre Richard n’est pas seulement ce Pierrot lunaire détaché de tout qu’il a si souvent incarné à l’écran. Derrière le comédien, se cache un citoyen responsable qui n’hésite pas à s’engager dans la défense des causes qui lui paraissent aussi justes qu’importantes. Rencontre.
Les associations qui soutiennent le chef amazonien Raoni ou les Indiens Kogis mentionnent le « soutien indéfectible » que vous leur apportez depuis des années. Comment est né votre engagement au service des peuples premiers ?
Pierre Richard : C’est le « hasard » qui, chaque fois, a gouverné ces rencontres. J’ai d’abord croisé Gerd Peter Bruch, le fondateur de l’association Planète Amazone. Il terminait son film de soutien sur le chef Raoni et cherchait un endroit pour monter ce film. Je lui ai proposé de s’installer chez moi et c’est ce qu’il a fait. Ce fut pour moi l’occasion de m’intéresser de plus près à son travail et j’ai été si frappé, choqué, interloqué – les trois, vraiment – que j’ai décidé de m’intéresser d’un peu plus près au combat de ce peuple qui défendait l’Amazonie. Là-dessus est arrivée la COP 21 qui se tenait justement à Paris et à laquelle le chef Raoni devait assister.
Comme il ne savait pas où loger, je lui ai également proposé de s’installer chez moi. C’est ainsi que je l’ai fréquenté durant trois semaines et que nous avons sympathisé. Ce qui n’a fait que renforcer ma conviction que le combat que ces gens menaient était capital. Même topo avec Eric Julien sur l’incroyable aventure duquel j’avais lu quelques lignes lorsque tombé gravement malade en Colombie, il avait été recueilli et guéri par les chamans Kogis. Nous nous sommes croisés par hasard, avons échangé, et j’ai fini par produire un documentaire sur les Kogis avant que l’association Tchendukua n’achète des terres pour les installer et les protéger de la voracité des grands propriétaires terriens.
Cela fait une dizaine d’années donc que je vis au contact de leur combat et que nous sommes proches et alliés. Ce sont des questions qui me touchent d’autant plus que ma femme est brésilienne.
Quelle sagesse ou quel symbole ces peuples incarnent-ils qui vous ait donné envie de les aider ?
PR : Ce sont de grands défenseurs de la biodiversité, les gardiens les plus convaincus de l’importance des forêts primaires et de leur conservation au moment où les multinationales veulent les détruire pour s’approprier les richesses du sol et abattre les arbres. Ils sont en première ligne, sur place, mais leur combat nous concerne tous et j’essaie personnellement de les soutenir de mon mieux car il me semble essentiel que notre planète conserve son formidable poumon vert, menacé d’être divisé par deux en quelques années.
Avez-vous eu, vous-même, l’occasion d’approcher des peuples indigènes sur leur territoire ?
PR : Je devais me rendre aux côtés d’Eric Julien chez les Kogis, il y a quelques années. J’en avais très envie et je m’étais arrangé pour pouvoir disposer d’un peu de temps. Mais, à quelques jours du départ, je me suis mis à souffrir d’une cruralgie qui m’a contraint à annuler mon voyage. Ce sont uniquement eux, pour le moment, qui sont venus chez moi et j’attends d’avoir un mois complet devant moi – ce qui arrive rarement ! – pour répondre à l’invitation du chef Raoni. Mais cela finira bien par arriver.
L’appel que vous aviez lancé sur internet il y a 3 ans pour financer la première assemblée des peuples autochtones, a été vu plus de 2,5 millions de fois. C’est énorme. À quoi attribuez-vous ce « succès » ?
PR : Il se trouve simplement que je suis un acteur relativement populaire ; c’est ainsi. Et comme c’est le genre d’information ou de message que je relaie sur mon site personnel, j’imagine qu’un certain nombre de gens ont vu le message à ce moment-là et répondu à l’appel.
Pensez-vous sincèrement que cette Assemblée des Gardiens de Mère Nature, qui a éprouvé tant de mal à se réunir, ait un véritable avenir ?
PR : J’aimerais beaucoup qu’elle ait un avenir, oui, mais je n’en suis malheureusement pas certain. Il faudrait pour cela que beaucoup plus de gens se sentent concernés, se mobilisent et les événements ne semblent pas prendre cette tournure. Alors, oui, ce fut un grand cri d’alerte poussé par ces nations qui ont su rester en contact avec la nature. Et un cri d’espoir également puisqu’en dépit de nombreuses difficultés, les représentants de ces peuples venus des quatre coins du monde sont parvenus à s’assembler pour réfléchir, ensemble. Et agir. Mais je crains fort que cela n’en reste là. Le temps qui passe m’a conduit à devenir quelque peu pessimiste, réaliste. Ce qui ne m’empêche nullement d’agir !
Au regard de l’inertie des dirigeants des grandes nations, on doute parfois qu’il soit possible de redresser la barre à temps. Quel est votre sentiment personnel sur notre avenir ?
PR : Si par extraordinaire je devenais milliardaire, je mettrais sur pied un cabinet d’avocats et d’experts qui seraient chargés d’attaquer les dirigeants des grands pays pour « non-assistance à planète en danger » ! N’étant pas milliardaire, je ne peux que regretter cette inertie des grandes nations, voulue. Lorsque Nicolas Hulot a quitté le gouvernement, il a déclaré que le capitalisme et la défense de la planète étaient antinomiques. C’est malheureusement vrai, je le crains : les chefs d’État, quels qu’ils soient, adoptent une posture publique et font de grands discours face aux caméras, mais ils ne font rien à côté de cela qui puisse nuire aux intérêts des grands groupes économiques, en Amazonie comme ailleurs, la France comme bien d’autres pays. C’est la réalité et c’est pour cela que je suis assez pessimiste.
Que peuvent faire les anonymes, les petits, les sans grade pour faire avancer les choses ?
PR : Il faudrait qu’un petit appel comme celui que j’ai lancé totalise 10 millions de vues et non pas 2 millions pour que les choses bougent vraiment. Ce que je veux dire, c’est qu’il existe une réelle prise de conscience de l’humanité sur ces problèmes, mais je crains pour ma part qu’elle ne s’opère pas suffisamment vite pour que nous parvenions à régler tous ces problèmes. De leur côté, les dégâts progressent vite, très vite, plus vite qu’on ne les règle ! 80% des insectes perdus, plus de la moitié des mammifères et des poissons en moins sur la planète !! Des chiffres tout ce qu’il y a d’officiel. Et ce n’est pas encore assez pour que nous réagissions vraiment. Mais autant, je ne vois pas ce que l’on peut faire pour l’Amazonie – ou alors descendre tous dans la rue ! – autant nous pouvons faire évoluer notre mentalité de consommateurs. Cessez de vouloir tout, tout de suite, tout le temps. On vivait très bien sans manger des fraises en janvier. Il y avait même un réel plaisir à ce que chaque chose ait saison. Et cela, mettre un peu plus de sagesse dans nos comportements, c’est tout à fait possible.
Au fond, vous vous battez pour qui ? Pour quoi ?
PR : Pour mes enfants. Pour tous ces enfants à qui l’on va laisser une poubelle pour planète. Une poubelle dangereuse avec ça ! Regardez les températures de ce mois de juin, les records tombent partout. Du jamais vu. Et vous trouvez encore des climato-sceptiques pour vous dire que : non, non, il ne se passe rien de dramatique…
Les gens qui vous abordent, journalistes en tête, évoquent-ils vos engagements ou bien est-ce finalement peu connu ?
PR : Lorsque l’on participe à des émissions de télévision et à des interviews, l’objectif est avant tout d’assurer la promotion du film ou du spectacle dans lequel on joue. C’est pour cette raison généralement que l’on accepte l’invitation qui vous est faite et c’est ce que l’on a en tête. Cela dit, il est arrivé une fois, en effet, que Nagui me questionne sur cet aspect de ma vie. Et j’avais apprécié même si je ne suis pas très enclin à aborder ma vie privée dans les interviews.
Est-ce que ces sujets sont parfois abordés chez vous, en famille ?
PR : Mes enfants sont grands à présent et mes petits-enfants… encore petits ! Nous n’avons pas non plus tant de réunions de famille que cela. Mais l’un de mes fils se sent en effet très concerné par toutes ces questions. Le problème, c’est qu’il est encore plus pessimiste que moi ! Et c’est donc moi qui dois lui remonter le moral ! Sinon, la plupart de nos proches sont dans cette sensibilité, oui : concernés, inquiets, même si, lors des grands repas d’été par exemple, on préfère parler tous ensemble de choses plus gaies, ce qui est normal.
Dans deux documentaires réalisés sur vous, vous étiez tour à tour décrit comme « l’incompris » puis « le discret ».
PR : « Incompris », il est vrai que je l’ai longtemps été d’une certaine façon. Il a fallu un certain temps pour que les gens comprennent que je n’étais peut-être pas seulement un rigolo. Quant au « discret » même si « distrait » me conviendrait parfaitement aussi, et même de plus en plus !, cela tient justement au fait que je rechigne à aborder ma vie privée avec les journalistes. Je n’ai pas l’habitude de me livrer de ce côté.
Comique, engagé, "incompris" ou "discret", merci alors Pierre Richard de vous être confié à nous.
À lire aussi
Lutte environnementale : naissance d'une Internationale des peuples indigènes