Tourisme durable

Küstendorf, l’ethno-éco village de Kusturica

05 Juin 2018 - Evénement / Récit

C’est un village inattendu, perché au sommet d’une colline, dans un décor magnifique, celui des montagnes du sud-ouest de la Serbie. Bienvenue à Küstendorf, l’ethno-éco village du réalisateur Emir Kusturica, un village non seulement voué à l’ethnologie de son pays mais aussi à l’écologie, au cinéma et à la musique. Séjour décalé dans un des fiefs d’un des plus grands du cinéma contemporain, un tantinet mégalo qu’on appelle à Küstendorf et les Balkans : le Professeur. 

 

Küstendorf © Elisabeth Blanchet
Küstendorf © Elisabeth Blanchet
 
 

De Sarajevo à Küstendorf

 
On peut aller au village du réalisateur en partant de Sarajevo. La route est magnifique. Elle quitte la capitale bosniaque en longeant sa vieille ville, ses cafés et ses mosquées datant de l’Empire ottoman, avant de grimper dans les montagnes.
 
La route tournicote autour de collines enjolivées de sapins et de moutons qui gambadent en toute liberté. Dans les villages, des minarets flambant neufs rappellent que nous sommes en Bosnie. Cependant, ça et là, des églises orthodoxes rivalisent avec les mosquées et marquent leur territoire serbe - la Bosnie est truffée d’enclaves serbes qui font partie de l’entité serbe de Republika Srpska. 
 
Très vite, les cimetières musulmans sont plus nombreux que les minarets. Les tombes ont toutes le même âge, celle de la guerre entre Serbes, Croates et Bosniaques qui dura de 1992 à 1995. Dans les villages, des maisons en ruines, couvertes d’impacts de balles sont mitoyennes de demeures clinquantes, vestiges d’un bon voisinage ayant du jour au lendemain viré à la terreur. 
 

 
 
Küstendorf © Elisabeth Blanchet
Küstendorf © Elisabeth Blanchet
 
 

Pourquoi un ethno-village ?

 
La route longe désormais les gorges de la Drina. 
 
C’est la route où il y a le plus de tunnels en ex-Yougoslavie, une des dernières grandes réalisations de Tito”, explique Milos, mon compagnon de voyage serbe de Bosnie, nostalgique. “Bon, Tito, c’était un peu Al Capone, ce n’était pas la démocratie mais on avait un haut niveau de vie. Maintenant, on a la démocratie mais on vit mal”.
 
La route descend sur Visegrad en Republika Srpska. La ville de 12 000 habitants est connue pour son pont sur la Drina, d’où le roman, Un pont sur la Drina, du prix nobel de littérature Ivo Andric, tient son nom.
 
 
Rue Ivo Andric, Küstendorf © Elisabeth Blanchet
Rue Ivo Andric, Küstendorf © Elisabeth Blanchet
 
 
 
Puis nous traversons la frontière et la route monte en serpentant jusqu’à Küstendorf - le village de Kusturica – “Dorf” signifie village en allemand. Le village avait pour but initial de servir de décor en 2001, au film La vie est un miracle
 
Puis le projet a évolué : “J’ai perdu ma ville, Sarajevo, durant la guerre. C’est pourquoi j’ai souhaité bâtir mon village. J’y organiserai des séminaires pour les gens qui veulent apprendre à faire du cinéma, des concerts, de la céramique, de la peinture. C’est la ville où je vais vivre et où certaines personnes pourront venir de temps en temps. Il y aura bien sûr d’autres habitants qui travailleront sur place. Je rêve que cet endroit soit ouvert à la diversité culturelle et s’érige contre la mondialisation”, déclare le cinéaste en juillet 2004. Un projet pour lequel Kusturica reçoit en 2005 le Prix Européen d’Architecture Philippe Rotthier.

 
Place principale de Küstendorf © Elisabeth Blanchet
Place principale de Küstendorf © Elisabeth Blanchet
 
 
 

Un village de vacances unique

 
Dans ce domaine perché, chacun des trente chalets a en effet été acheté à un paysan des environs puis démonté pièce par pièce avant d’être réassemblé et transformé en petite maison d’hôte ou en chambre d’hôtel.
 
Les intérieurs “cosy” façon Tyrol sont aussi soignés que les extérieurs où le bois local prévaut – “village en bois” (Drvengrad en serbe) est d’ailleurs l’autre nom de Küstendorf : de l’Eglise Saint Sava en passant par les restos et les bars, la salle de conférence, le gymnase, toutes les allées du village et « le cinéma Stanley Kubrick au-dessus duquel le Professeur a sa maison », me souffle un des serveurs du bar “Les Damnés” où Kusturica a en permanence deux tables réservées. Seule la piste d’atterrissage d’hélicoptère, bien cachée des yeux des visiteurs, n’est pas en bois…
 
 
 
Vieille voiture qui a servi dans Chat Noir, Chat Blanc de Kusturica, © Elisabeth Blanchet
Vieille voiture qui a servi dans Chat Noir, Chat Blanc de Kusturica, © Elisabeth Blanchet
 
 
 
Je ne m’attendais pas du tout à cela”, confie une touriste française en arpentant les ruelles du village – dont les noms sont ni plus ni moins ceux des héros de Kusturica : Ivo Andric, Maradona, Ernesto Guevara, Novak Djokovic, Dostoievski, Frederico Fellini... – il n’y a pas encore de rue Poutine. 
 
J’imaginais quelque chose de beaucoup plus petit, un peu comme un village de touristes, pas à un endroit aussi vaste, étrange, et surprenant au milieu des montagnes”, poursuit-elle.
 
Cependant les touristes étrangers restent rares, ce sont surtout des Serbes qui viennent s’y balader, un flot constant de gens : des couples, des familles, des groupes scolaires, des amateurs d’architecture, de cinéma, des entreprises qui viennent pour “souder les équipes”… Bref, les affaires tournent à Küstendorf, le maître du domaine peut incontestablement ajouter la corde de businessman à son arc…
 
 
Un chat noir et blanc de Küstendorf ! © Elisabeth Blanchet
Un chat noir et blanc de Küstendorf ! © Elisabeth Blanchet
 
 

Et un festival de cinéma et de musique

 
Mais c’est aussi pour son festival que Küstendorf est connu, festival de cinéma et de musique qui a lieu chaque année depuis 2008 en plein mois de janvier. Chez le Professeur, des fictions de renommée internationale - Dheepan de Jacques Audiard était par exemple à l’affiche en 2016 - sont projetées au même titre que des films et des documentaires d’inconnus et d’étudiants. Le soir, le village vit au rythme des concerts, des trompettes et des guitares…
 
C’est ainsi que sur les allées glissantes du village tout comme sur les pistes de ski de la station voisine d’Iver, d’illustres stars comme Monica Bellucci ou Johnny Depp croisent d’illustres inconnus qui seront peut-être un jour les futurs Audiard ou Visconti.
 
 
 
L’église Saint Sava, sur la place principale de Küstendorf © Elisabeth Blanchet
L’église Saint Sava, sur la place principale de Küstendorf © Elisabeth Blanchet
 
 
En tout cas, quelle que soit la saison, Küstendorf a des allures de village de conte de fée, et c’est un bel endroit de villégiature. Entre séances de cinéma, balades en montagne ou dans la vallée, ski en hiver, lecture et longs bavardages au coin du feu du bar et bons repas au Visconti, c’est un endroit qu’on n’a pas envie de quitter, surtout qu’on a de grandes chances de croiser le grand homme…
 
 
 
Au bar des Damnés dans Küstendorf © Elisabeth Blanchet
Au bar des Damnés dans Küstendorf © Elisabeth Blanchet
 
 
Pour vous y rendre, passez par Belgrade ou Sarajevo et louez une voiture. Les plus aventuriers pourront se risquer à prendre les transports en commun (en bus de Sarajevo à Visegrad ou de Belgrade à Uzice) mais il faudra de toute façon prendre un taxi à Visegrad côté Bosnie ou Uzice en Serbie.
 
 
 
Pour en savoir plus : 
 
 
 
 
 
 
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