Tourisme durable

Kenya : quand le tourisme contribue à préserver la faune sauvage

26 Décembre 2023 - Biodiversité / Conservation / Nature / Préservation

Le Kenya fascine petits et grands amateurs des animaux sauvages. Ces derniers sont pourtant en proie à de multiples menaces. Et si le tourisme était une partie de la solution ?


Une faune menacée
 

Forgé par Ernest Hemingway, le terme Big 5 regroupe les cinq grands animaux sauvages d'Afrique décrits comme les plus dangereux : lions, léopards, éléphants, rhinocéros et buffles. Les Big 5 font aujourd’hui rêver les voyageurs du monde entier, pourtant quatre de ces espèces sont menacées de disparition ou classées comme vulnérables par l'UICN, l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature.

En 2021, alors que le Kenya mène son premier recensement faunique, l’UICN note que l’éléphant d’Afrique a vu sa population chuter d’au moins 60% en cinquante ans. Les principales raisons ? Le braconnage, la destruction ou la pression sur les habitats des animaux et le réchauffement climatique, impliquant une drastique raréfaction des ressources disponibles. Pour ces mêmes raisons, toute la faune du Kenya connaît une importante diminution de population.

 

Oryx devant le Mont Kenya © David Clode / Unsplash

 



Les conservancies d’Afrique Australe
 

Les zones protégées sont cruciales pour la préservation des espèces animales. Au Kenya et en Afrique Australe, des conservancies se sont développées à cet effet. Ces "zones de conservation" ont été créées en Namibie dans les années 1990, alors que ce pays était le premier du continent à introduire des mesures de protection de l’environnement dans sa constitution. Gérées par des propriétaires privés ou des communautés, ces zones protégées ont pour but la conservation des ressources naturelles afin de sauvegarder les espèces qui y vivent. Des opportunités de recherche scientifique, d'éducation et de loisirs y sont développées.

Financée en partie par le Fairmont Mount Kenya Safari Club, la Mount Kenya Wildlife Conservancy (MKWC) est plantée sur les splendides pentes du Mont Kenya. La propriété centenaire qui abrite l’hôtel et la MKWC fut demeure privée, avant de devenir club de chasse. En 1967, elle devient hôtel de luxe avec une réserve de faune sauvage. Aujourd’hui, l’hôtel et son parc comptent plus d'une centaine d'espèces animales, dans des zones de semi-liberté, à proximité d’autres sanctuaires naturels proches du Mont Kenya.

 

Un bongo à l’orphelinat du MKWC © DR



Dr Robert Aruho est le Directeur de la MKWC. Vétérinaire spécialiste de la faune sauvage, il a dédié sa vie à la restauration et à la conservation des espèces menacées. Il est aujourd’hui spécialisé dans la translocation et la réintroduction d'espèces sauvages africaines rares et menacées. 

 Les objectifs de la MKWC sont multiples. En plus de l’indispensable protection de la faune, les équipes souhaitent reconnecter les communautés locales à la vie animale. - Dr Robert Ahuro

La majorité des employés sont en effet des locaux, et tous les projets développés sont en lien avec les villageois. Les arbres plantés par la MKWC sont par exemple des pousses achetées auprès de ces communautés.

La volonté des équipes est aussi de rendre les animaux à la vie sauvage dès que possible. Des animaux orphelins, abandonnés et blessés sont pris en charge avec la volonté de les relâcher dans leur habitat naturel une fois rétablis.

La sensibilisation est aussi un des objectifs centraux de la MKWC. Véronique Delattre, Directrice générale du Fairmont Mount Kenya Safari Club, commente : "nous souhaitons avant tout sensibiliser les enfants. Quand ils voient les actions de la MKWC, cela leur montre l’importance de chaque action, quelle que soit l’échelle. Par exemple, sauver la vie de chaque animal recueilli à l’orphelinat, que ce soit un des Big 5 ou un petit animal moins connu, ça compte."

 

Le Fairmont Mount Kenya Safari Club © DR

 

Les bongos, ces grandes antilopes des forêts tropicales, sont endémiques au Kenya. Ils sont extrêmement menacés par la pression sur leur habitat et le braconnage.

En partenariat avec le Kenya Wildlife Service (KWS), la MKWC mène le programme Bongo, notamment pour restaurer les habitats naturels via la plantation d’arbres. Le programme porte ses fruits : aujourd’hui, la MKWC abrite 67 bongos en cours de réensauvagement dans les forêts du mont Kenya, alors qu’il reste moins de 100 bongos à l’état sauvage dans le monde.

Pourtant animal emblématique en Afrique, la girafe est aussi en déclin. Au Kenya, le nombre de girafes réticulées, l'une des quatre espèces de girafes kenyanes, a diminué de près de 50% au cours des 30 dernières années. Après 40 ans d'extinction locale, la MKWC a pu réintroduire ces girafes sur sa zone protégée.

 

Girafe en Afrique australe © Aurélie Croiziers



Le tourisme peut-il être une part de la solution ?
 

D’un point de vue écologique, le tourisme est décrié pour son impact carbone, mais l’expérience de la MKWC interroge : et si les touristes étaient une part de la solution dans la préservation de la faune sauvage ?

La crise du Covid a permis l’expérimentation réelle d’une période sans visiteurs. Pour Dr Robert Ahuro, c’était néfaste : "plus de 90% des ressources pour nos programmes viennent du tourisme. Les conservancies ne peuvent pas survivre sans le tourisme, sans parler de l’augmentation du braconnage à cette période…"

Véronique Delattre poursuit : "le plus important est la manière dont on voyage. Il faut évidemment compenser son empreinte carbone. Et les quotas aussi peuvent être une solution, comme au Bhoutan par exemple, on pourrait fixer des limites pour contrer le tourisme de masse."

À ceux qui se demandent si les actions du MKWC ne seraient que du greenwashing, Véronique répond : "chacun doit faire sa part, chaque entreprise également. L’éducation et la sensibilisation sont pour nous prioritaires."

On dit souvent que le meilleur moment pour planter un arbre, c’est aujourd’hui. Le meilleur jour pour sauver les bongos, c’est aujourd’hui. - Dr Robert Aruho