Tourisme durable

Irlande : voyage le long de la frontière du Brexit - Partie 1

25 Mars 2019 - Actualité / Culture / Histoire / Récit

La frontière entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord est au cœur des débats du Brexit. Si ce dernier prend forme, la frontière aujourd’hui quasi-invisible risque de ré-apparaître et de sérieusement compliquer la vie des frontaliers… Voyage d’ouest en est - et de pubs en pubs ! -, dans cinq villes et villages situés le long des 500 km de route qui sépare les deux Irlande.

 

 

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Signe anti-frontière sur la route ©Elisabeth Blanchet

 

 

 

Muff (République d’Irlande) et Derry (Royaume-Uni)

 

À Muff ou ailleurs en Irlande, le voyage commence par le pub, l’endroit où l’on glane autour d’une Guinness ou plusieurs les histoires et les potins du coin. Situé en plein milieu de la rue principale de cette petite ville à une dizaine de minutes de Derry, The Squealin’ Pig est l’adresse incontournable de Muff en terme de troquet. Les histoires, comme la bière, coulent à flot, surtout si vous tombez sur un certain John Putt. Intarissable et doté d’un sens de l’humour britannique - oui, c’est un Anglais marié à une Irlandaise du coin -, il a plus d’une histoire dans son sac dont une qui l’a profondément marqué par son injustice.

 

 

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Changement de tarmac, signe du passage de la frontière ©Elisabeth Blanchet

 

 

 

Pendant les Troubles, dans les années 70, il revenait d’Irlande du Nord avec trois paquets cadeaux. Les douaniers irlandais les ont confisqués alors qu’il s’agissait de nounours pour ses trois enfants, envoyés par sa famille d’Angleterre et à ouvrir seulement à Noël… John vous racontera aussi d’autres histoires, plus dramatiques, de prison, d’attentats, bref de guerre civile. À Muff, il semble que la population ait particulièrement trinqué.

 

 

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John Putt ©Elisabeth Blanchet

 

 

La frontière, John ne veut surtout pas qu’elle réapparaisse, tout comme les autres habitués du pub, ou encore Chantelle, la charmante serveuse du tout proche Border Café.

 

 

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Chantelle ©Elisabeth Blanchet

 

 

 

De l’autre côté de la frontière que l’on repère seulement grâce à un changement de couleur du tarmac sur la route, Dennis est aussi du même avis. Son Bed & Breakfast champêtre, l’Elag Vale Lodge B&B, bâti côté Irlande du Nord, donne sur les champs de la République, séparés de son jardin par un étroit cours d’eau-frontière… Difficile d’imaginer un poste frontière dans le paysage.

 

 

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Vaches à la frontière, en face de chez Dennis ©Elisabeth Blanchet

 

 

 

Mais tout n’est pas rose… À Derry ou Londonderry, comme certains Unionistes (Protestants d’Irlande du Nord) l'appellent, les communautés sont séparées. Si votre cœur penche du côté des Républicains ou/et catholiques, c’est dans le Bogside qu’il faut s’aventurer. Un panneau "You are entering Free Derry" vous fera comprendre où vous avez atterri, tout comme la flopée de drapeaux de la République et de fresques murales relatant des faits marquants des Troubles qui ont duré de 1968 à 1994.

 

 

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You are entering Free Derry ©Elisabeth Blanchet

 

 

Essayez le pub The Bogside Inn où, en prime, des photos noir et blanc de la guerre civile vous mettront dans l’ambiance de l’époque…

 

 

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Fresque murale du Bogside ©Elisabeth Blanchet

 

 

Si votre cœur ou votre curiosité vous poussent de l’autre côté, chez les Unionistes, il sera plus difficile de trouver un pub qui affiche sa tendance unioniste. C’est plutôt dans des Social Clubs que les pro-Royaume-Uni se réunissent. Trainez autour du Memorial Hall - surnommé The Mer -, QG des Apprentice Boys of Derry au cœur de la ville. Dans cette immense bâtisse datant de 1877, une grande salle de danse avec pub intégré et des étages de salles de réunion des Orangistes. Il suffit de sonner pour entrer. Avec un peu de chance, si vous montrez un brin d’intérêt, vous aurez droit à une visite guidée dans le labyrinthe du Memorial, une véritable aventure d’agent secret…

 

 

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Apprentice Boys Social Club ©Elisabeth Blanchet

 

 

Belleek, côté Royaume-Uni

 

Cap vers le sud et la ville de Belleek. C’est au pub Black Cat Cove que vous ferez le plein d’histoires tout en buvant une bonne pinte ou un cidre. Dans ce pub fort sympathique, les langues se délient facilement dès le matin et jusqu’à l’extinction des feux.

 

 

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Black Cat Cove ©Elisabeth Blanchet

 

 

Le grand bar en courbe sur votre droite en entrant est parfait pour engager la conversation. De toute façon, vous ne passerez pas incognito car tout le monde se connaît.

 

 

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Visite de Theresa May à Belleek en juillet 2018 ©Elisabeth Blanchet

 

 

On vient aussi y boire un verre depuis l’autre côté du pont, côté République. Vous y apprendrez par exemple que c’est sur cette frontière irlando-britannique que l’Armée Britannique s’est fait la main en testant tout un tas de choses en matière d’interventions, de construction de postes de “défense”, de matériel de contrôle etc. On vous racontera des histoires d’hélicoptères omniprésents et de la fameuse ancienne station des forces armées aujourd’hui abandonnée qui montre à quel point les Britanniques ne rechignaient pas au leurre et au camouflage épais. On vous relatera aussi un des faits remarquables de petite ville. C’était le 19 juillet 1987 : un membre des Royal Green Jackets de l’Armée Britannique, Thomas Hewitt, 21 ans, tombe lors d’une patrouille fauchée par un sniper de l’IRA perché sur la colline de l’autre côté du pont.

 

 

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Entente cordiale entre policiers britanniques et irlandais ©Elisabeth Blanchet

 

 

 

Et pour vous plonger encore plus dans cette période noire des Troubles, ou conflit nord-irlandais, qui dura de 1968 à 1998, quittez le cœur de Belleek par la petite route qui file vers le nord. En bord de rivière s’élève une imposante structure squelettique en partie dépouillée du revêtement qui la rendait jadis un peu moins menaçante. Vous contemplez les ruines d’une ancienne base de l’armée britannique, rare vestige de la Hard Border de jadis.

 

 

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Ancienne caserne de l'armée britannique à Belleek ©Elisabeth Blanchet

 

 

 

Après les accords de paix du Vendredi Saint de 1998, la grande majorité des structures frontalières ont été rasées. Celle-ci fut vendue à un particulier pour démantèlement. Une acquisition dont il ne sut visiblement que faire puisqu’il chercherait aujourd’hui à s’en séparer. Aidan, qui habite la maison voisine, se souvient avec un tremblement dans la voix de l’attentat contre la caserne qui, au cours de la nuit du 27 novembre 1989, a soufflé les fenêtres de sa maison et détruit des habitations alentour.

 

 

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Aidan devant la vieille caserne ©Elisabeth Blanchet

 

 

 

Blacklion (République) et Belcoo (Royaume-Uni)

 

Le Maguire est le seul pub de Blacklion qui a survécu à la désertification de ce charmant village. Eh oui, les quelques pubs qui bordaient la rue principale de Blacklion ont fermé les uns après les autres. Heureusement, le plus authentique est toujours là, baptisé Maguire, un nom particulièrement commun dans ces contrées sud du County Cavan. Authentique car on y découvre tout un pan de mur “musée” avec des étagères remplies de vieilles bouteilles, de fioles, de chopes et autres bibelots d’un autre temps.

 

 

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Pub Maguire ©Elisabeth Blanchet

 

 

 

Pas besoin de boire des litres de Guinness pour que les langues se délient. On vous racontera des histoires de contrebande, on vous expliquera que le village voisin, Belcoo en Irlande du Nord, est séparé de Blacklion par un pont sur lequel passe la frontière, on vous enverra au restaurant d’en face, ouvert par le célèbre chef Neven Maguire, un enfant du coin, en espérant qu’il aura une table ce jour-là. Et on vous dira encore une fois qu’on ne veut pas du retour de la frontière.

 

 

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Harold Johnston dans son magasin ©Elisabeth Blanchet

 

 

Aussi, on vous enverra faire du shopping au magasin voisin, Johnston, dont l’enseigne ne laisse rien deviner de l’amoncellement de marchandises, vêtements et chaussures qui accueille le visiteur. Et au milieu, Harold trône en maître, troisième représentant de sa famille à tenir la boutique créée par sa grand-mère quelque 117 ans auparavant en 1901. N’hésitez pas à pousser la porte, pour un achat de dernière minute ou même pour une histoire. Harold, qui est un peu la mémoire de Blacklion, en a toujours une ou deux à raconter au visiteur curieux d’anecdotes frontalières.

 

 

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John Sheridan ©Elisabeth Blanchet

 

 

Chez Johnston ou au pub, demandez comment vous rendre chez John Sheridan. Fermier d’une petite soixantaine d’années, John est protestant, vit au nord mais élève du bétail sur ses terres qui se trouvent de chaque côté de la frontière. Depuis le référendum du Brexit, il est révulsé par la situation et est devenu un porte-parole national anti-brexit :

 

Je suis tout à fait pessimiste et pas du tout de bonne humeur. Le référendum du Brexit, ce n’était qu’un mensonge décidé par des menteurs. Le Brexit divise, renforce le sectarisme au nord et j’ai peur que le pays finisse en champ de ruines. Je suis aussi très inquiet pour la paix, pour l’avenir de nos familles, de nos communautés. Car même une soft border finirait, à terme, en hard border”, déclarait-il l’été dernier adossé au capot de sa très British Land-Rover.

 

Depuis ses terres, on peut emprunter ce qu’on appelait du temps des Troubles, des “unapproved roads”, des routes sans poste frontière mais qu’on ne pouvait emprunter que muni d’une autorisation spéciale matérialisée par un sticker sur le pare-brise du véhicule... À suivre.

 

 

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Dennis passe la frontière ©Elisabeth Blanchet

 

 

 

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