Connaissez-vous les frères Omidvar ? À l’aube des années cinquante, Issa et Abdullah Omidvar quittent Téhéran pour entreprendre un voyage autour du monde qui va durer une dizaine d’années. Aujourd’hui, passé les frontières de l’Iran, ils demeurent encore quasiment inconnus. Pourtant, ces grands explorateurs ont sillonné la planète et produit un travail d’ethnologues inédit à l’époque, photographiant, filmant et écrivant sur des peuples, cultures et régions isolés du reste du monde.
Ce serait toujours une sacrée aventure aujourd’hui de partir pour un voyage de dix années sur la route, à travers le cercle Arctique, les Andes et le Congo, à moto et en 2CV ! C’est ce qu’ont fait les frères iraniens Omidvar en 1954. Ils ont ouvert une fenêtre sur le monde originale, à une époque où tous les récits d’exploration venaient de l’Occident.
Issa et Abdullah Omidvar savent très tôt qu’ils souhaitent partir à la rencontre du monde et des autres. Des voyages en famille en Iran dans leur enfance suscitent en eux une curiosité et un esprit de recherche pour tout ce qui les entoure. Adolescents, ils s’adonnent aux joies de la bicyclette et de l’alpinisme. Puis, c’est en découvrant dans les cimes et grottes iraniennes les traces d’hommes primitifs que l’intérêt pour l’histoire et les autres civilisations est né. Ils envisagent de partir au-delà des frontières de l’Iran, dans les endroits les plus reculés de la planète.
La moto s’impose comme un moyen de transport à la fois économique et facilement transportable d’un continent à l’autre. Aidés de leur père, ils importent deux motocyclettes d’Angleterre et s’élancent sur les routes en août 1954, avec moins de 100 dollars en poche chacun. Dans leurs bagages, seulement du matériel pour filmer et le strict minimum. Cap vers l’Est, en pénétrant d’abord en Afghanistan, puis Pakistan, Inde et enfin le Sud-Est asiatique, avant de rejoindre l’Australie. Ils passent à Hong Kong et au Japon avant de franchir le Pacifique pour atteindre l’Alaska, le Canada et l’Arctique. Ils entament ensuite une traversée du continent américain dans son intégralité et arrivent en Argentine, après avoir exploré plusieurs mois l’Amérique centrale et l’Amazonie.
Après sept ans de pérégrinations actives, ils rentrent en Iran, mais repartent trois mois plus tard pour un second périple de trois années à travers la péninsule arabique et le continent africain, cette fois-ci au volant d’une 2CV offerte par l'usine française Citroën.
Les obstacles sont nombreux sur leur route. Pas équipés à l’époque pour une telle aventure, avec des cartes géographiques peu précises, confrontés à des routes en mauvais état et des pannes mécaniques, les frères Omidvar affrontent différents dangers un peu partout, mais restent toujours solidaires l’un de l’autre.
Dès le départ, leur idée est claire : rencontrer les peuples les plus isolés de la planète afin de témoigner de l'extraordinaire diversité de l’humanité, sa richesse culturelle ainsi que sa grande connaissance des milieux dans lesquels elle évolue. Les frères Omidvar ne sont pas seulement les premiers à planter le drapeau iranien au sommet du Kilimandjaro. Ethnographes, journalistes, documentaristes, aventuriers, ils sont tout à la fois : les premiers Iraniens à se rendre parmi les Pygmées, les Massaï, les Inuits, les Jivaros, les Aborigènes ; ou encore les premiers hommes tout court à être autorisés à filmer la Kaaba, cœur de la cité sainte musulmane de la Mecque.
Spectateurs de danse et de fêtes traditionnelles, bâtisseurs d’igloo, collectionneurs d’objets rares, ils se documentent, font des recherches, observent, fouillent et améliorent leur anglais en voyage, en écrivant pour de célèbres revues comme le National Geographic ou en organisant des conférences dans les universités américaines. En chemin, ils présentent le résultat de leurs recherches scientifiques, anthropologiques et historiques aux pays s’intéressant à leurs travaux.
Alors que la plupart des explorateurs venus d’Occident prônent la modernité et voyagent avec une démarche civilisatrice, les frères Omidvar vont à la rencontre du monde avec un esprit différent. Leur récit est rafraîchissant, sans posture dominante, les difficultés qu'ils rencontrent sont minimisées avec modestie et toujours teintées d’un humour espiègle. Au milieu des années cinquante, le monde est encore fortement marqué par le colonialisme ; les frères Omidvar ont ouvert une brèche, avec une approche unique à l’époque, comme on pouvait le lire sur leur moto : "All different, all relative".
À la fin de ces dix années d’exploration, Abdullah s’installe au Chili, travaillant dans la production de films, tandis qu’Issa retourne vivre en Iran. Les deux explorateurs sont passés incognito à l’étranger. Seuls quelques Iraniens connaissaient leurs aventures grâce à une émission diffusée à la télévision dans les années soixante.
Au Nord de Téhéran, dans le Complexe Saadabad, l'ancien domaine de retraite estivale de la famille du Shah, Issa Omidvar est à l’initiative de la création d’un petit musée d’ethnologie, abritant de nombreux objets et photos que lui et son frère ont pu ramener. Dans la cour, on peut admirer la 2CV et l'une des deux motos rescapées de l'aventure. Loin d’être reconnus à la hauteur de leurs explorations, ils sortent progressivement de l’ombre depuis quelques années.
Se plonger dans la vie des frères Omidvar, c’est se rappeler les valeurs universelles véhiculées par le voyage. Un jour, en 1954, deux frères sont partis de chez eux pour voir le monde, puis le raconter et montrer que l’humanité est belle et que les Hommes n’ont pas peur de l’étranger.
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