06 Septembre 2018 - Actualité / Portrait / Evénement
Ella Maillart est sans doute la plus originale et attachante exploratrice du XXème siècle. Journaliste, photographe, écrivaine, guide, elle poursuit toute sa vie les chemins de la liberté et de l’éveil avec sincérité. De la Russie à la Chine, de l’Asie centrale à l’Inde, Ella Maillart voyage comme elle respire, naturellement, pour rester vivante.
Ella Maillart naît en 1903 à Genève. Une santé fragile la pousse à se mettre au sport pour se fortifier. Elle gagne ses premières régates sur le lac Léman avec son inséparable amie Hermine-de-Saussure, surnommée Miette. Elle excelle également en ski, défendant les couleurs de la Suisse aux championnats du monde. Voile, hockey, montagne, elle pratique le sport pour aller jusqu’au bout d’elle-même. Ses années passées près du Lac Léman lui donnent le goût de naviguer et des grands espaces.
Le bateau, école d'indépendance
Au début des années 1920, les deux navigatrices parcourent à plusieurs reprises la Méditerranée. Ella et Miette aménagent et réparent leur voilier en toute autonomie, suscitant l’admiration là où elles passent. Les deux amies ont alors un rêve fou : traverser l’Atlantique, rejoindre la Polynésie française avec leur nouveau thonier baptisé "Atalante". Mais Miette tombe gravement malade. Le projet capote. Privée de sa capitaine, Ella Maillart cherche d’autres horizons. Ses années de bourlingue à la voile sont racontées dans son livre La Vagabonde des mers.
En 1929, Ella rencontre des étudiants russes à Berlin et décide d’en savoir plus sur la jeunesse, le sport et le cinéma soviétiques. Avec l’aide d’une bourse de cinquante dollars offerte par la veuve de Jack London, elle part en 1930 pour son premier grand voyage en Russie. Après quelques mois à Moscou, elle rêve de grands espaces et d’authenticité et part dans le Caucase. Elle reviendra seule par la mer Noire et la Crimée. Ses aventures sont relatées dans Parmi la jeunesse russe qui lui vaudra son premier chèque.
Ella Maillart a trouvé sa voie : elle écrit pour voyager. En 1932, elle repart en train, en bus, à dos de chameau pour traverser le Turkestan russe, à la rencontre des kirghizes, des kazakhs et des ouzbeks. C'est le début de son engouement pour les peuples nomades. Des Monts célestes aux sables rouges annonce les prémices du caractère ethnographique de son œuvre.
"Qu’est-ce qu’on fout ici ?", elle reprend les mots de l’écrivain suisse Blaise Cendrars comme un mantra pour continuer sa route et toujours aller voir plus loin ce qui se passe. En 1934, le journal Le Petit Parisien l'envoie en reportage en Mandchourie. Cette contrée mystérieuse, bordée par la Russie, la Chine et la Corée, est occupée par les Japonais. Toujours munie de son fameux Leica, elle parcourt les campagnes pendant trois mois, et réalise la brutalité des affrontements sur place. Ses déboires et les risques encourus pour réaliser ses articles montrent précisément son courage et sa détermination.
De Pékin au Cachemire, l’itinéraire ultime
En 1935, elle retrouve dans une gare chinoise le journaliste britannique Peter Fleming, grand reporter pour le Times. Ils souhaitent tous deux effectuer la traversée de la Chine d’est en ouest, à travers les contrées les plus secrètes d’Asie centrale. Cet audacieux périple les emmène de Pékin à Srinagar, par le Turkestan Chinois, les cols du Pamir et du Karakoram, sur une portion mythique de la Route de la Soie. Un des plus beaux trajets que l’on puisse faire sur cette planète. Dans Oasis interdites, elle relate l’exaltation du voyage au long cours et la liberté extrême. Peter Fleming raconte leurs aventures avec beaucoup d’humour dans Courrier de Tartarie.
1939, Ella Maillart n’a qu’une idée en tête : fuir l’Europe qui entre en guerre. Avec Anne-Marie Schwarzenbach, écrivaine suisse toxicomane, elle embarque pour un road trip de Genève à Kaboul qu'elle espère salvateur pour son amie. Cette aventure rocambolesque dans une magnifique Ford Roadster en Asie centrale est décisive : partir rencontrer l’autre pour mieux se découvrir soi-même. Le voyage pose les bonnes questions sans fournir forcément toutes les réponses. Bien plus qu’un récit de voyage, ses réflexions sur le contexte international et sa condition sont racontées dans La Voie Cruelle.
Au terme de sa traversée jusqu’en Afghanistan, Ella se retire plusieurs années en Inde, loin de l’Europe et de la deuxième guerre mondiale. En quête de vérité intérieure, elle séjourne dans un ashram d'Inde du Sud pour suivre les enseignements de maîtres de philosophie indienne. Dans une lettre qu’elle adresse à sa mère, elle se confie : "L'endroit ici n'est pas mal choisi pour cette activité [...] pour trouver cette Réalité que j'ai pourchassée jusqu'ici sur terre et sur mer."
La voyageuse jette l'ancre en 1946 à Chandolin, un petit village du Valais suisse situé à 2000 m d’altitude, et y fit construire son chalet, "Atchala". Dès 1951, elle s’envole pour le Népal, devenant une des premières occidentales à pénétrer dans ce pays encore interdit aux étrangers. Des photos uniques illustrent son récit Au pays des Sherpas. Toute au long de sa vie, elle navigue entre ses montagnes suisses et l'Asie où elle accompagne des groupes de voyageurs. À plus de quatre-vingt ans, elle se rend à Lhassa au Tibet, puis à Khotan, une oasis de la Route de la Soie. Ella Maillart décède en 1997, à l’âge de 94 ans.
Aventurière bourrée d’humilité, écrivaine pleine de doutes et photographe modeste, elle écrit sans jamais s'attarder sur ses difficultés ni ses prouesses d'exploratrice. Son regard est aussi vivace que ses propos. Aujourd’hui, son œuvre photographique est visible au musée de l’Elysée à Lausanne dont elle a fait don de quelques 20 000 clichés. L’Espace Ella Maillart, dans le village de Chandolin, retrace sa vie et son œuvre.
Conseil de lecture :
Olivier Weber, Je suis de nulle part, Sur les traces d’Ella Maillart. Payot, 2003
--------------------------------------------------------------- À lire aussi ----------------------------------------------------------------