
Pour approcher le monstre du Loch Ness ou sa légende, il faut passer par Inverness, porte d'entrée vers les Highlands. N'oubliez pas votre parapluie et vos lunettes de soleil. Ce n'est pas une légende : les quatre saisons peuvent s'inviter dans la journée.
Me voilà accoudée au comptoir du pub le plus proche en train de déguster un verre de scotch de la distillerie Glen Ord, tout en savourant les théories farfelues et les explications pseudo scientifiques à propos du fameux monstre.
Attablé devant le plat national écossais, un succulent haggis, une panse de brebis farcie, on en apprend plus sur Robert Kenneth Wilson, à l’origine du premier cliché du monstre en 1934. Maître dans l’art du canular et expert dans l’utilisation des sous-marins téléguidés, l’homme a grugé tout le monde pendant des décennies.
Plus tard, beaucoup plus tard, à l’heure de la dernière commande de HappyNess, la bière locale brassée par un avocat reconverti en patron de bar à Drumnadrochit, on me révèle que l’acteur américain Charlie Sheen (Platoon, Wall Street…) s’est lancé à son tour dans une chasse impromptue. Apparaissant sur Twitter ivre et heureux, un casque sur la tête, l’homme se disait prêt à trouver la bête. L’esprit tout aussi embrumé que ce cher Charlie, ballotée entre les hypothèses mettant en scène un gros esturgeon, une brochette de phoques ou un dinosaure marin, je décide d’en avoir le cœur net. J’embarque à bord d’un des bateaux de croisière qui relient la rive du loch au château d’Urquhart.
Météo capricieuse oblige, le brouillard a laissé place à une vue à couper le souffle sur le loch. Revenue sur la terre ferme, bredouille, mais toujours en quête de l’insaisissable Nessie, direction le Loch Ness Exhibition Centre. C’est là qu’Adrian Shine, le maître des lieux à la longue barbe grise, accueille les visiteurs et leur explique comment s’est forgé le mythe, à mi-chemin entre la fable tenace et le plus génialissime des coups marketing.
Trêve de monstruosités. C’est parti pour un road trip sur la face B du Loch Ness, dans ce sud sauvage et impénétrable.
Les yeux rivés sur le ciel désormais bleu, je lance le Best of de Led Zeppelin. Nous voilà plongés en 1970 au temps où Jimmy Page, le guitariste du groupe, habitait dans le manoir de Boleskine à 20 minutes de voiture d’Inverness. L’homme, connu pour son penchant pour les sciences occultes, avait souhaité s’installer là où avait vécu jusqu’en 1913, Aleister Crowley, un mage sulfureux.
« Pendant plusieurs mois, on a vu des hordes de fans de Led Zep camper dans les environs : ils picolaient et ils organisaient des messes noires. Ils prétendaient que Jimmy le faisait, confie un voisin. Une fois, Robert Plant, le chanteur du groupe, est venu sonner à ma porte pour me demander où était l’entrée du manoir. C’était surréaliste. »
Aujourd’hui, il ne reste plus grand-chose du lieu, ravagé par un incendie en 2015. Seuls subsistent un petit cimetière, une légende moins connue que celle du monstre et une atmosphère mystique, renforcée par la présence inquiétante du loch.
Rassasiée de tant de mystères, sur la route qui mène à Fort Augustus, je goûte au plaisir de la conduite à gauche. La route serpente au milieu des collines, la plage de Dores s’ouvre devant moi, tandis que le rock des Écossais de Franz Ferdinand crachote dans l’autoradio.
Quelques kilomètres plus tard, dans les hauteurs du loch Tarff, place à la cornemuse. La neige s’est mise à tomber, faisant sortir les animaux de leurs abris pour se mettre en quête de nourriture. Ici, les troupeaux de cerfs côtoient les vaches Highland, aux poils aussi longs que la barbe d’Adrian Shine. Il est l’heure de se délecter d’une exquise et monstrueuse sensation d’espace que rien, pas même quelques ondulations suspectes sur le Loch Ness, ne saurait venir troubler.
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