Début septembre, 4 chamans Kogis venus de Colombie sont venus en France participer à une expérimentation inédite afin de nous faire partager leur « diagnostic de santé territoriale ». Vivant depuis toujours en harmonie avec la nature, les Kogis ont été accompagnés pour l’occasion de chercheurs occidentaux. Une expérience qui a permis de mettre en perspective approche scientifique et approche traditionnelle.
C’est encore une bien belle histoire qui se trouve à l’origine de la venue en France de cette délégation d’Indiens Kogis. Au milieu des années 90, en effet, alors qu’il était en train d’explorer leur territoire, le jeune géographe français Éric Julien est atteint d’un œdème pulmonaire sévère et ne conserve la santé que grâce à l’intervention des chamans locaux. De cette rencontre initiale naît une amitié indéfectible, puis quelques mois plus tard, l’association Tchendukua créée par le géographe pour permettre à cette communauté si particulière de sauvegarder son mode de vie.
Après que l’association soit, au fil des années, parvenue à leur acheter plus de 200 hectares de forêt et - grâce au soutien de Pierre Richard, grand défenseur des nations "premières" ! - à réaliser un documentaire sur eux pour la télévision, Eric Julien a pensé qu’il était temps que les Kogis montrent qu’ils étaient eux aussi en mesure de nous apporter quelque chose. Rien de "matériel" cependant.
Petite communauté d’environ 12 000 personnes résidant sur les hauts versants de la Sierra Navada colombienne bordant la mer des Caraïbes, les Kogis vivent depuis toujours sans argent ni écriture, au rythme de la "Terre Mère" et sont convaincus que l’être humain dans ses équilibres comme ses déséquilibres, est le reflet du territoire sur lequel il vit. D’où l’idée avancée par Éric Julien de leur demander de réaliser un véritable "diagnostic de santé territoriale" d’une partie du département de la Drôme.
Si l’idée a pu paraître saugrenue à certains, les mentalités finissant toujours par évoluer, elle a en revanche semblé parfaitement valide aux 8 chercheurs qui les ont accompagnés au fil de cette enquête de terrain. Son but ? Lire dans les paysages et recueillir toutes les informations données par la qualité de l’eau, la présence et la santé de la faune comme de la flore ou encore la structure de la roche. Géographes, médecins et biologistes venus d’universités de plusieurs continents (France, Suisse, Brésil, Nouvelle-Zélande…) se sont donc joints aux chamans enquêteurs lorsqu’ils ont arpenté la vallée du Haut-Diois, aux sources de la Drôme.
Fort du soutien que lui ont apporté aussi bien l’Agence Française de Développement (AFD) que le Ministère de la transition Écologique qui financent en partie le voyage des 4 représentants Kogis - trois chamans hommes ou Mamus, accompagnés d’une femme ou Saga -, Tchendukua, au-delà des résultats concrets de l’expérimentation, entend surtout faire évoluer notre regard sur notre rapport à la nature. Et puisque nos mentalités occidentales sont avant tout sensibles aux arguments rationnels, offrons-leur des arguments rationnels, s’est dit Éric Julien :
« Si plusieurs scientifiques expliquent que ce que font les Kogis n’est pas idiot, cela rendra assurément leur parole plus audible ! ».
Raison pour laquelle, au terme de l’expérimentation, les Indiens Kogis et certains des chercheurs présents ont fait dialoguer sciences et traditions à l’occasion d'une rencontre exceptionnelle organisée à Toulouse le 15 septembre.
Sur le thème : « Entre santé et territoire, quelle relation ? Et quelles voies essentielles de guérison ? », chamans et scientifiques ont porté un regard croisé permettant de faire émerger des territoires de pensée communs entre approche scientifique et savoir écologique traditionnel. Installé depuis plus de mille ans dans une « voie féminine » d’approche du monde douce et respectueuse où l’on « pense » les choses plutôt qu’on les « utilise », les Indiens Kogis, aussi démunis soient-ils, ont un message à nous faire passer :
« Nous ne vous demandons pas seulement de nous aider à retrouver nos terres, non… nous vous demandons surtout de nous aider à protéger ce que vous appelez la nature : les êtres vivants, les animaux, les plantes et les arbres, mais aussi les pierres ».