Avec des records historiques de passagers et des carnets de commandes pleins pour de nouveaux bateaux, le secteur des croisières est en pleine croissance malgré ses impacts sociétaux et environnementaux. Tour d’horizon d’un monde à part où les bateaux deviennent une destination en soi.
Un phénomène en pleine croissance
Le nombre de passagers dans le monde – Américains en tête -, a atteint en 2023 un record absolu : 31,7 millions, selon la Cruise Lines International Association (CLIA). Cette croissance devrait se poursuivre ; avec les livraisons de bateaux annoncées, la CLIA mise sur 40 millions de passagers en 2027. Autrefois, les amateurs de croisières appartenaient plutôt au troisième âge. Aujourd’hui, la croisière attire un public plus jeune – 47 ans en moyenne, et plus familial. Voilà l’une des raisons qui explique la bonne santé du secteur reparti sur les chapeaux de roues depuis la fin du Covid.
Croisières tour du monde, croisières à thème ou mini-croisières en Méditerranée de 3 à 5 jours, l’offre s’est extrêmement diversifiée pour séduire des nouveaux clients et fidéliser les anciens. Pour accueillir plus de monde, les bateaux sont de plus en plus gros. Les croisiéristes réalisent ainsi des économies d’échelle et peuvent offrir des prix d’appel relativement bas dans le but d’attirer des passagers plus jeunes, au budget généralement plus serré que les seniors.
Qu’importe la destination, pourvu qu’on s’amuse
Voyager sans renoncer au confort, s’offrir une parenthèse hors du temps sans se soucier de l’organisation de son périple. Pas de repas à préparer, pas de courses, pas de sorties à organiser, pas de ménage… Les jeunes parents et les familles élargies y trouvent leur bonheur avec des prestations adaptées pour les enfants, des lieux de vacances pour se retrouver. Sur ces croisières, il y a aussi le sentiment pour les passagers d’avoir accès à une expérience de luxe : buffets débordant de nourriture, bateaux rutilants, attractions à volonté…
Que reste-t-il du concept initial du navire faisant escale dans des villes à travers le monde qui faisaient rêver ? Aujourd’hui, les bateaux de croisière sont devenus eux-mêmes des destinations dans lesquelles on trouve toutes les attractions. La course au gigantisme et au divertissement est lancée. L’un d’entre eux, l’Icon of the Seas, mis en service en janvier 2024, vogue entre Miami et les Bahamas avec à bord 7600 passagers, sept piscines, six toboggans, une patinoire, des murs d’escalade, une piste de surf, une salle de spectacle immersif…
Impacts environnementaux et tourisme de masse
Tandis qu’aux Etats-Unis, pays historique des croisières, la question environnementale de ces palais flottants ne semble pas problématique, en Europe, leurs conséquences néfastes font débat. Pollution de l’air à grande échelle, pollution de l’eau, contribution à saturer certaines destinations, toutes ces questions et les solutions esquissées sont d’actualité. La législation européenne évolue. Sous pression, les compagnies commencent à s’équiper pour se brancher sur le réseau électrique à quai et commencent à remplacer leurs moteurs par des versions compatibles au gaz naturel liquéfié (GNL).
Mais plusieurs villes et leurs habitants s’inquiètent des nuisances et de la concentration touristique à Barcelone, Venise, Amsterdam... A Marseille, un collectif à kayak a bloqué en septembre dernier l’accès au port devant un géant de mer pour dénoncer la pollution qu’ils causent quand ils viennent déverser leurs 3000 passagers à la journée. A ce jour, les critiques n’empêchent pas la croisière de gagner en popularité. Sa force, c’est son concept du "tout compris”, très pratique et sécurisant, avec des prix à la portée de la classe moyenne. Un nouveau tourisme de masse apparaît, une nouvelle mode : tu pars où ? sur tel bateau !
Adieu liberté
Au-delà des impacts environnementaux et sociaux, c’est toute une philosophie du voyage et de ses vertus qui est mise à mal en développant cette filière. Le bateau a beau être grand, on peut rapidement avoir le sentiment d’être prisonnier à bord, et en groupe ! On n’a pas non plus son mot à dire sur l’itinéraire. Même si on a un coup de cœur pour un petit village, impossible d’y rester un jour de plus que prévu. Difficile de véritablement découvrir les destinations ou de faire des rencontres sur place quand on s’arrête au pas de course pour "faire" une capitale.
Mais plutôt que de participer au "Cruise bashing”, ne pourrions-nous pas faire la promotion d’un tourisme qui s’inscrit dans un autre rapport au voyage, moins consumériste. Inviter ceux qui ont envie de renouer avec la liberté et l’aventure à envisager d’autres options pour les vacances ? Ce ne sont pas les idées qui manquent : découvrir des destinations en mode slow travel, prendre son sac à dos et partir à pied ou à vélo, aller à la rencontre de l’autre lors de séjours immersifs, prendre le temps de regarder autour de soi et tout simplement flâner les pieds sur terre.