Dans le nord du pays, l'Ennedi évoque encore ce Sahara rustique et brut de décoffrage tant pour ses paysages que pour sa population. Nous sommes en pays toubou avec des dromadaires à gogo.
Dans la vallée de Terbeï, la ceinture rocheuse se déchire soudain sur une arche magistrale, surmontée d'un piton pointé vers le ciel comme l'index d'un imam déclamant une sourate. Le vide sait parfois se faire magnifique. Mais c'est peut-être à la guelta d'Archeï que ce désert prend le plus aux tripes : chaque matin, une terrible clameur monte du fond des gorges. En janvier et février, lorsque les points d'eau se font rares, plus d'un millier de dromadaires viennent se désaltérer à l'ombre des hautes parois dans une profusion de blatèrements qu'on n’a jamais connus chez Pinder.
Les bêtes se bousculent, glissent sur les dalles comme Bambi sur la glace et finissent dans l'eau jusqu'au poitrail dans une joyeuse débauche d'éclaboussures. Dans la confusion, les jeunes appellent leur mère, les mères appellent les petits et les vieux mâles ronchonnent à s'en faire péter la bosse. Un point de vue panoramique du haut des falaises permet d'observer tout à son aise cet extraordinaire aquaboulevard pour camélidés.
L'Ennedi est un désert habité. Très habité même. Le Toubou a une réputation d'électron libre, aussi insaisissable que le sable. Un « peuple farouche et fier » nous disent doctement les guides. On les appelle aussi « Gouranes », un terme qui vient de l'arabe. La plupart sont des nomades, éleveurs de dromadaires et de vaches, ces dernières permettant d'obtenir du beurre. Leur comportement a souvent dérouté les Occidentaux.
Dans ces sociétés pastorales sans véritable leadership politique, la mobilité et l'agression se sont toujours révélées être des stratégies payantes. Leur histoire est ponctuée de razzias de bétail ou d'esclaves, de prédation et de vendetta entre pasteurs. Les clans ne forment pas de vrais groupes stables, structurés et sont très émiettés géographiquement. En l'absence de pouvoir politique centralisé, les colonisateurs français ont eu bien du mal à prendre le contrôle du pays toubou.
Judith Scheele, anthropologue à l’Université d’Oxford et basée pour un an à Faya-Largeau, m'informe que toutes les femmes portent une longue dague, le morto khore, dissimulée sous les jupailles et qu'elles savent s'en servir.
« Les Toubous règlent leur conflit à coups de couteau. Les hommes ont aussi des poignards de coude qu'ils dégainent dès que leur honneur est en jeu. Ils évitent cependant d'aller jusqu'au meurtre, le "prix du sang", c'est-à-dire la compensation pour un mort, étant très élevé : 5 millions de FCFA (7 500 €).
L'autre jour, une fille que je connais avait le visage tout tailladé. Je lui demande ce qui s'est passé et elle me répond que ce n'est rien, seulement un différend avec sa tante à propos d'un héritage. Et elle ajoute en rigolant : "tu verrais ma tante, elle a bien plus de cicatrices que moi !"
Un peuple « farouche et fier », disent les guides de voyage...
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