Une silhouette à poncho, chapeautée de cuir avec des bottes ornées d'éperons, voilà le Chagra. La version équatorienne du cow-boy. Un gars qui a su monter à cheval avant de marcher, gardien des grands troupeaux de bétail des Andes.
Voici donc ces « chagras », version locale du gaucho argentin, du huaso chilien, du vaquero mexicain, du llanero colombien et du qorilazo péruvien. L’origine de ces gardiens de troupeaux remonte à la Conquista, lorsque l’élite espagnole se partage les terres andines et commence à les exploiter en vastes haciendas. Dans une société segmentée en fonction de la couleur de l’épiderme et dans laquelle l’Indien n’a tout simplement pas le droit de monter à cheval, les gros propriétaires font appel à des métis pour surveiller leur bétail.
Mais c’est grâce aux corridas que ces as du lasso vont s’attirer les faveurs de l’aristocratie terrienne.
« L’histoire des chagras est intimement liée à celle des taureaux, raconte Gabriel Espinosa, propriétaire d’une hacienda à 50 km au sud de Quito. On dit que ce sont les Jésuites qui ont lâché des taureaux dans la nature pour éloigner les chercheurs d’or qui venaient orpailler dans leurs rivières. En tout cas, les chagras se sont vite avérés indispensables pour gérer le bétail et capturer les bêtes destinées aux corridas.»
Avec ses 250 vaches laitières, l’hacienda de Gabriel fait partie des grandes propriétés de la région, même si la succession de réformes agraires l’a fait passer de 600 hectares en 1911 lorsque son grand-père se lance dans l’élevage à 120 hectares aujourd’hui.
Pour préserver ses terres, il s’est mis depuis une quinzaine d’années à l’agro-tourisme et organise des randonnées équestres. Guido, l’un de ses 14 chagras est justement occupé à débourrer un étalon de 2 ans, un jeune émotif qu’il fait tourner en rond à l’aide d’un sachet plastique agité au bout d’une perche. Une bonne technique pour lui tremper le caractère et l’affranchir de ses peurs. « Parfois, on récupère des chevaux qui ont été élevés à la cravache, à la dure. Cela donne des montures très nerveuses, peu sûres. Guido les reprend en main et en deux semaines, la bête a retrouvé sa sérénité. Ici on ne casse pas les chevaux, on les éduque ! », assure Gabriel.
Au fil des siècles, les chagras ont su tisser des liens intimes avec tout ce qui porte des sabots ou des cornes. Ils sont ainsi devenus les hommes de main des gros éleveurs, aussi habiles à ferrer une vieille mule qu’à capturer au lasso une génisse enragée.
Bien plus qu’une profession, c’est désormais une culture, un art de vivre qui sent bon le crottin et le cuir mouillé. « Beaucoup ont défriché un lopin de terre et sont un peu devenus agriculteurs. D’ailleurs chagra vient de chakra qui désigne un bout de terrain en quechua. »
L’année s’écoule au rythme des « round-ups », où les bestiaux lâchés dans la nature sont rassemblés pour le marquage des jeunes et la sélection des individus les plus agressifs qui participeront aux fiestas populaires. Plus de 1 200 villages dans le pays organisent ce type de corrida bon enfant où les plus bravaches viennent agiter leur poncho devant le museau de taureaux mal embouchés pour le plus grand plaisir d’une foule survoltée.
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