La capitale fédérale du Brésil est bien la scène magistrale de l'architecture que l'on s'attend à découvrir. Une scène géante traversée par des avenues si vastes qu'elles intimident un piéton plutôt rare. Il faut dire qu’à l’époque de sa construction, entre 1956 et 1960, la voiture était reine.
Pour beaucoup de nos contemporains, Brasilia s’est fait connaître dans les médias en 2022 avec le coup de force des supporters du président Jair Bolsonaro, candidat battu à sa réélection. Ses disciples, débarqués par bus entiers de toutes les régions du pays, prirent d’assaut les institutions fédérales de la capitale sur la Place des Trois Pouvoirs et réussirent à entrer dans le palais présidentiel et dans le tribunal suprême, avant d’être délogés par l’armée.
En temps de paix, cette place des Trois Pouvoirs fait dialoguer le palais présidentiel, qu’on appelle le Planalto, le Congrès et le pouvoir judiciaire. Lignes élancées, pics de béton qui se jettent vers le ciel, longs bâtiments de marbre et de verre, de facture minimaliste, dômes et coupoles : la conception de cette immense place a voulu suggérer l’équilibre des pouvoirs dans une démocratie. Sur l’immense parvis vide de toute diversion, on ressent la solennité de cette architecture. Ce centre névralgique est encadré de chaque côté par un “axe monumental“, une artère de 16 km de long, à six voies de circulation, qui finit de donner à la capitale sa géométrie et son gigantisme.
Une ville rêvée par le grand Oscar Niemeyer
Non loin des ministères, la cathédrale Nossa Senhora Aparecida pointe vers le ciel ses flèches modernistes en forme de couronne d’épines. À l’intérieur, les colonnes courbes en béton, disposées en corolle, créent un espace majestueux éclairé par une voûte de vitrail bleu. Plus de soixante ans après sa construction, cet édifice fascine par son audace technique et son esthétisme.
Cette scénographie comme celle de toute la ville est signée du grand maître Oscar Niemeyer, architecte brésilien de renommée mondiale, exilé en France pendant la dictature au Brésil de 1964 à 1985 et également concepteur du bâtiment du Parti communiste à Paris, disparu en 2012 à l'âge de 104 ans. Avec son alter ego pour l'urbanisme, Lucio Costa, et le paysagiste Burle-Marx, Oscar Niemeyer a façonné la jeune capitale brésilienne, inaugurée en 1960.
Soixante mille ouvriers sur le chantier
Brasilia a été classée au patrimoine de l'humanité par l'Unesco en 1987. Sur les photos d’époque, on perçoit la démesure du chantier : quatre ans pour bâtir une ville sur un plateau désert du centre du Brésil, le tout grâce aux 60 000 ouvriers accourus du Nordeste, la région la plus pauvre du pays.
Au-delà de la leçon d'architecture d'un Niemeyer inspiré par Le Corbusier, on apprécie dans cette ville de trois millions d'habitants sa nature omniprésente, qui est également un projet, ou plutôt une projection de société idéale. Les immenses parcs insérés dans la ville se déploient autour du lac artificiel, le Lago de Paranoá, qui accompagne la ville du nord au sud et crée un bassin bienfaiteur sous ce climat chaud.
Des îlots d’habitation très convoités
Dans sa configuration en forme d’avion dont la partie centrale est occupée par les institutions, des blocs d'habitations ont été créés d'une façon comparable à nos cités des années 1960-1970. A ceci près que ces blocs de six étages sont bordés d’espaces verts aux grands arbres, de fontaines et de bancs. À proximité, les écoles, le petit centre commercial et de jolies bibliothèques municipales. On imagine une vie en vase clos, fermée sur le quartier, mais ce serait sans compter sur la convivialité brésilienne, qui pousse les voisins à sortir sous l'ombre des arbres et à engager la conversation.
Ces habitations sont convoitées car elles offrent des surfaces de 160 à 250 m2 dans un environnement calme. - Juán Luis, guide touristique
C'est une nouvelle société civile, conforme à l'engagement politique d’Oscar Niemeyer, qu'ont voulu faire naître les créateurs de cette ville, même si ce projet demeure hypothétique. Brasilia reste une cité artificielle, loin de tout si ce n’est du pouvoir, et la croissance démographique a refoulé les habitants précaires dans la périphérie. Mais l’utopie a accouché d’une capitale qui inspire toujours les architectes par sa recherche de beauté dans la simplicité.