On a du mal à tordre le cou aux mauvaises réputations et le Nicaragua en a fait longtemps les frais. Pourtant il faut marteler que, 20 ans après la fin de la guerre civile, ce pays est devenu le plus sûr d'Amérique centrale. Qu'on se le dise.
Dans l'ombre fraîche de son patio ouvert sur la rue, Mariano Marin se balance dangereusement sur son rocking-chair tout en évoquant ses souvenirs de guérilla. Il raconte son engagement dans la guérilla alors qu'il était étudiant au début des années 70, les nuits en hamac « dans la montagne », le sempiternel régime haricots rouges-bananes plantain, les déplacements continuels pour donner l'impression aux « Somocistas » - les partisans du régime - d'être partout à la fois et puis les embuscades.
Voilà maintenant vingt ans que tout le monde a déposé les armes et que les Recompas (les ex-sandinistes) et les Recontras (les ex-contras) se sont réconciliés.
« Beaucoup de familles ont été déchirées. Dans la mienne par exemple, mon cousin a rejoint les contras, car il avait des terres et avait peur de se faire exproprier. Il a fait le coup de feu sous le nom de commandant Relamparo, le « commandant Éclair ». À l'époque, on se serait tirés dessus. Maintenant, on boit des coups ensemble ! »
Orage de singes
Il y a encore de la fumée au-dessus du Nicaragua. Celle des volcans semés le long de la ceinture de feu qui, en crachant cendres et scories, fertilisent les sols et remplissent les églises de fidèles soumis et respectueux. Les Nicaraguayens ont cette assurance tranquille des peuples fréquemment remués par les secousses politiques et les tremblements de terre. Chaque année, la plaque des Cocos glisse de 9 cm sous la plaque caraïbe provoquant éruptions ou séismes selon l'humeur de la croûte terrestre. Sur 27 volcans, 8 sont encore actifs.
L'un d'entre eux pointe son cône parfait sur l'île d'Ometepe, au beau milieu du lac Nicaragua. Malgré la chaleur, le Concepción a pris soin de se protéger d'un cache-col de nuages laineux. À 15 km de là, son cousin le Maderas, assoupi depuis plus de huit siècles, s'est entouré des mêmes précautions. Ces deux-là ont pourtant longtemps fait peur à toute la population d'îliens au point que personne n'y montait il y a encore 60 ans, de peur de tomber sur des « duendes », ces esprits malins kidnappeurs d'enfants.
Tandis que nos courageux petits chevaux tricotent du sabot sous les guanacastes et les ficus géants, un orage de singes hurleurs éclate soudain, là-haut, dans les frondaisons. La clameur s'estompe, à la façon d'une vague furieuse qui, après s'être fracassée sur la grève, se retire dans un murmure, et les geais bleus reprennent leurs jacassements comme si rien ne s'était passé. Saul Corea est un petit fermier, natif de l'île, qui complète ses revenus en organisant des randonnées équestres autour de sa ferme nichée sur les pentes du Maderas. Il se souvient que, dans les années 70, la moitié de l'île appartenait à Somoza.
« Toute ma famille travaillait pour Somoza, moi compris. On était agriculteurs, salariés. Je gagnais 50 dollars par mois. J'ai réussi à partir aux États-Unis en 1974. Mon premier job dans un ranch au Texas était payé 5 000 dollars ! J'y suis resté 27 ans... »
Saul fait partie de ces gens qui ont choisi l'exil plutôt que la guerre et qui n'en ont pas moins travaillé dur. Sa grande fierté est d'avoir eu une piscine et des employés mexicains pour la nettoyer. De nos jours, lesremestas, l'argent envoyé par les familles de Nicaraguayens travaillant à l'étranger, représentent 25% des entrées de devises du pays.