Au nord du Maroc, Tanger est identifiée comme la ville des artistes voyageurs du passé. Mais la ville du Détroit de Gibraltar se transforme profondément pour développer un tourisme culturel, ancré dans le patrimoine et dans l’art contemporain.
Tanger ©shutterstock
Il n’a pas fallu davantage qu’une petite fenêtre à Matisse pour faire exploser son célèbre bleu dans “Une fenêtre à Tanger“ (1912-1913), une toile qui représente une scène urbaine de la casbah, l’enceinte fortifiée de la ville. Comme bien d’autres, Matisse était tombé sous le charme de Tanger et on peut admirer dans ce tableau toute la puissance conjuguée du ciel et de la mer jouant avec l’ocre des bâtiments.
D’Eugène Delacroix à Kees Van Dongen, Nicolas de Staël, au peintre marocain Ahmed Yacoubi révélé par l’écrivain américain Paul Bowles, la liste est longue des artistes plasticiens qui, aux XIXe et XXe siècles, ont nourri leur imaginaire dans la ville au confluent de la Méditerranée et de l’océan Atlantique. On aperçoit, au-delà du détroit de Gibraltar, les reliefs de l’Espagne, à quatorze kilomètres à peine.
Un projet pour refaçonner la ville
Depuis plus de dix ans, Tanger se façonne un nouveau visage et revendique son statut de ville des arts, forte d’une riche histoire. Exit le port industriel qui absorbe des millions de conteneurs chaque année : transféré à quelque distance de Tanger, il coupait la ville en deux, tournant le dos à la médina perchée sur sa colline. À partir de 2010 est lancé un projet urbain baptisé “Port de Tanger Ville”, qui ambitionne de “créer une nouvelle relation entre la ville et le port et de positionner Tanger comme une destination-phare du tourisme” explique Mohammed Ouanaya, le PDG de la société d’aménagement du port (SAPT). “Un tourisme de croisière et de plaisance mais avec un seuil acceptable de fréquentation”, précise-t-il.
Nous avons restauré les remparts et réhabilité les bâtiments historiques de la médina tout en construisant le port de plaisance et un nouveau port de pêche. - Mohammed Ouanaya
À voir la foule se presser en fin de journée sur les remparts et descendre les nombreuses marches jusqu’à la mer, où ils peuvent flâner sur de larges allées bordées d’arbres, on constate à quel point les Tangérois se sont approprié cette transition désormais fluide entre le cœur historique et la Méditerranée.
Des lieux dédiés à la création
Olivier Conil voit cette transformation comme un inestimable atout pour Tanger, souvent qualifiée comme la ville des artistes au Maroc.
Ce Français, galeriste et mécène, vit depuis vingt ans à Tanger, où il a ouvert trois galeries d’art contemporain et de design, un pari audacieux mais qui a trouvé son public, aussi bien local qu’étranger. Tous les lieux qu’il a créés se situent dans la médina, “le poumon de la ville”. Il participe activement, comme conseiller auprès des autorités, au développement de projets de création contemporaine et regorge d’idées d’expositions, de rencontres artistiques, de valorisation des artistes locaux.
Tanger est une ville où l’on ressent une inclination des gens à la discrétion et à la dignité, mais aussi à la créativité, à la liberté. Et véritablement, la ville se réinvente, de nouveaux lieux dédiés à la création ont ouvert ces dernières années, qu’il s’agisse de galeries, de boutiques, d’expos, de festivals, etc. C’est foisonnant de projets. - Olivier Conil
Nouveaux musées et résidences d’artistes
Sur la jolie petite place du Tabor ombragée par un ficus géant, à deux pas de la porte de la casbah, la galerie Conil expose des peintres marocains et du monde entier, et déniche sans cesse de nouveaux talents qu’il présente également dans des expositions en France. Il oriente volontiers ses visiteurs vers les nouveaux musées et espaces culturels logés dans d’anciens palais, l’ancienne douane ou même une prison désaffectée, et qui ont été restaurés dans le cadre du projet “Tanger-ville”, ainsi que d’un vaste plan de revalorisation de la médina lancé par le roi Mohammed VI.
Sur les remparts, l’ancien fort est ainsi devenu le splendide musée Ibn Battouta, à la mémoire du célèbre voyageur tangérois parti en 1325, qui chemina jusqu’en Chine et ne revint de son périple que vingt-neuf ans plus tard. C’est en rêvant à cette incroyable épopée que l’on pénètre, un peu plus loin, dans le Musée La Kasbah, un espace d’art contemporain couplé à un parcours archéologique de la ville, qui ont investi l’ancienne prison, toujours avec le talent des architectes modernes pour magnifier les vieilles pierres en revisitant la configuration, la lumière, les circulations.
On tombera tôt ou tard sur le Musée des artistes voyageurs au Dar Niaba, qui rend notamment hommage à Eugène Delacroix avec ses carnets de voyage. Mais qui a aussi pour objectif d’accueillir des artistes en résidence afin de “prolonger la veine créative qui a toujours été associée à l’image de Tanger“, se réjouit Olivier Conil.