Marqué par son passé de guerre civile, le Cambodge s’était éloigné de ses pratiques traditionnelles. Mais l’artisanat textile khmer renaît de ses cendres bien au-delà du krama porté par tous les Cambodgiens.
Si après le régime des Khmers rouges, l'art de la soie avait quasiment disparu, aujourd'hui des personnes s'engagent dans la réhabilitation du tissage khmer. Pour eux, il est urgent de maintenir cet héritage pour favoriser la transmission des savoirs et lutter contre un exode rural massif. C’est dans cet esprit que "Soieries du Mékong" a installé son atelier de production et de formation dans la province reculée du Banteay Meanchey, à la frontière thaïlandaise.
En devenant tisserandes, les femmes apportent en effet une source de revenu supplémentaire à leur famille et accèdent à un statut plus respecté au sein du foyer, dans un village où l’activité principale était jusqu’à présent la culture du manioc. Une fois formées, elles peuvent installer un métier à tisser chez elles et exercer à la maison, tout en s’occupant de leurs enfants. L’apprentissage du tissage devient un outil d’émancipation sociale et économique.
Le bombyx du mûrier du Cambodge produit une soie de couleur jaune d’or d’une qualité supérieure à celle du vers à soie blanche du Vietnam ou de Chine. Alors que cette variété de vers avait presque disparu, Sophea Oum, ancienne directrice du Centre national de la soie et fondatrice de l’ONG Golden Silk a réussi à relancer l'élevage : « Nous apportons du travail aux populations rurales des alentours de Siem Reap en leur enseignant comment produire des tissages d’exception à partir des techniques anciennes. »
Toujours dans les environs d’Angkor, le vénérable Kikuo Morimoto, qui se dit « fanatique de la soie », est un Japonais installé au Cambodge depuis vingt ans. Il a relancé la production d’étoffes traditionnelles, dans un respect de la nature, depuis la culture de mûriers, l’élevage de vers, jusqu’à la production de soie et le tissage. À ce jour, son projet éco-responsable au nom poétique « Le village de la sagesse de la forêt » fait travailler huit cents artisans de la région.
En valorisant cet héritage culturel unique, ces initiatives encouragent les jeunes générations à poursuivre un art pratiqué au Cambodge depuis le VIIIème siècle.
Le joyau de cet artisanat est incontestablement l’ikat khmer. L’ikat - « nouer » en indonésien - est une technique de tissage utilisée pour réaliser le sarong traditionnel, le « Sampot hol ». Les fils de trame sont d’abord noués en réserve selon un dessin défini, puis trempés dans des bains de teinture successifs, obtenus par des pigments naturels : bleu de l’indigo, jaune du garcinia, rouge de la cochenille…
Une fois les nœuds retirés, un motif multicolore entre figuration et abstraction apparaît sur les fils de trame qui seront ensuite tissés sur une chaîne. Observer les doigts agiles des femmes qui nouent minutieusement les fils avec des feuilles de bananier, c’est faire l’expérience de la patience et de la grâce. Certaines étoffes peuvent prendre jusqu’à un an de travail, selon la complexité du tissage.
Vous avez encore un doute pour reconnaître la vraie soie ? Il reste le test du feu. En brûlant un fil, il s'en dégage une fine cendre accompagnée d'une odeur de cheveu brûlé. Dès que la flamme s'éteint, la combustion s'arrête. Maintenant, vous ne vous ferez plus avoir par les imitations ou les contrefaçons !
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