Dans les montagnes et hauts plateaux d’une région située au nord-est de Grenade, un vaste territoire protégé nous ramène à l’ère du quaternaire, à plusieurs millions d’années de notre confort moderne, sur les traces de l’histoire de notre planète.
C’est un paysage rugueux qui s’étend sous nos yeux, un panorama de début ou peut-être de fin du monde, sans âme qui vive à l’horizon, habité par la roche et le vent. Du moins, à ce qu’il en paraît au premier abord. Dans cette province profonde de Grenade, entre Baza et Guádix, un vaste territoire de 4500 km2 nous ramène à l’ère du quaternaire, voici deux millions et demi d’années.
Depuis 2019, cette région exceptionnelle a été classée en “géoparc“ par l’Unesco : elle constitue le Geoparque de Granada, un ensemble géologique remarquable qui raconte l’histoire des soubresauts de la terre et du patient travail de l’eau et du vent pour creuser la masse minérale en y apportant la vie, la couleur et les incroyables feuilletés de pierre que l’on peut admirer.
María Luisa Puertas, une géologue passionnée qui a créé Greenwalk, une petite entreprise d’excursions à caractère scientifique, emmène ses touristes sur le plateau de Los Balcones, à proximité du village de Baúl. Le classement de la région en géoparc a stimulé l’écotourisme et l’intérêt du public pour des zones à l’écart de la ville de Grenade.
De là-haut, le regard embrasse une succession de failles, de canyons et de plis rouges découpés à la serpe, qui témoignent, explique la géologue, “de formations géologiques d’âges différents, façonnant un paysage qu’on appelle les Badlands, des reliefs spectaculaires par leur érosion et leur aridité“. Seule trace de civilisation dans ce spectacle intimidant, des amandiers aux fleurs roses qui poussent sur le dos du plateau.
À l’ère du quaternaire, attestent les paléontologues qui ont retrouvé nombre de fossiles, ces régions accueillaient une faune abondante, du tigre à dents de sabre au mammouth, du loup au lynx et au zèbre, grâce à un climat plus proche de la savane que celui d’aujourd’hui. Des hominidés s’y seraient aussi réfugiés dans les grottes, voici 900 000 ans, mais cette présence très ancienne reste controversée.
Le soir venu, les visiteurs du XXIème siècle peuvent, eux, s’abriter pour la nuit dans l’une des maisons troglodytes badigeonnées à la chaux des villages environnants, et s’y réchauffer au coin de la cheminée dans leur grotte, si la température constante de la “cueva“, entre 18 et 20°, n’est pas suffisante…
Invisible sur ces hauteurs, l’eau est pourtant la grande prêtresse aux commandes de ce royaume. Pour le comprendre, il faut se rendre, dans la région d’Alicún de las Torres, à un aqueduc spontané, l’acequía del Toril, qui charrie une eau vive sur un kilomètre et demi. L’eau émerge de sources profondes et circule dans son mince couloir entre de hautes parois rocheuses, stimulant au passage une végétation exubérante et endémique.
Cet aqueduc que les scientifiques se plaisent à souligner naturel même si l’on suppose qu’il fut jadis utilisé, comme aujourd’hui, pour irriguer les cultures en contrebas, est une curiosité unique en Europe. De fait, le lit de l’aqueduc s’est consolidé à travers les âges grâce à la formation de travertin, une roche calcaire sédimentaire. Plus précisément, explique María Luisa, “sous le goutte à goutte de l’eau qui ruisselle, une petite fougère, le limonio, finit par se calcifier et se transforme en minéral“.
L’imposante retenue d’eau de Negratín, l’une des plus importantes d’Andalousie, scintille dans son désert de roches. Voici des millénaires, toute cette région de plateaux arides était recouverte d’eau venant de la Sierra Nevada. L’activité sismique a ensuite dessiné cette géographie qui s’offre au regard. Aujourd’hui, ce sont les changements climatiques qui reconfigurent ces lieux…
Aller plus loin :
- https://www.geoparquedegranada.com/
- https://www.greenwalk.es