Tourisme durable

Airbnb et Cie : un enfer pavé de bonnes intentions ?

19 Juillet 2017 - Actualité / Hébergement
Au-delà même d’une concurrence déloyale vis-à-vis des modes d’hébergement traditionnels à laquelle le législateur a commencé de s’attaquer, les plateformes de location entre particuliers, détournées de leur vocation d’origine et utilisées de manière industrielle à des fins de pur profit, posent un problème majeur : la désertification accélérée des centres-villes ! Arrêt sur images.

 
 
Le décret Airbnb à Paris vote l'enregistrement obligatoire
Le décret Airbnb à Paris vote l'enregistrement obligatoire

 

 
 
 
À l’heure du « décret Airbnb » du 30 avril dernier, TV5MONDE a demandé à une avocate du cabinet spécialisé Cornet Vincent Ségurel de nous apporter son éclairage sur les textes de loi venus encadrer la location d’appartements entre particuliers. Avant de donner la parole au représentant d’une plateforme de location puis aux hôteliers eux-mêmes.
 
 
« Jusqu’à la loi du 7 octobre 2016 (dite de République Numérique, section : code du tourisme), explique maître Letourmy du cabinet Cornet Vincent Ségurel, les propriétaires d’une résidence principale désirant la louer n’avaient aucune déclaration préalable à effectuer dans la mesure où ils ne louaient pas celle-ci plus de 120 jours par an, seuil au-delà duquel (4 mois donc) la résidence ne pouvait plus être considérée comme principale.
 
 
Les résidences secondaires devant déjà, pour leur part, faire l’objet d’une telle déclaration de location. En autorisant les communes qui le souhaitaient à imposer l’enregistrement de leur domicile principal même dans le cadre d’une unique location à l’année, le décret Airbnb du 30 avril dernier a donc changé la donne.
 
 
Le but du législateur ? Créer un cadre permettant un meilleur traçage des opérations dont notamment un contrôle enfin rendu possible du fameux décompte de ces 120 jours ».
 
 
 
 
République Numérique

 

 
 

Un problème de concurrence, mais pas que !

 

 
 
Maître Letourmy poursuit : « Mais, au-delà de ce point pratique, associé à la réforme de la fiscalité (qui concerne donc actuellement les loueurs gagnant plus de 23.000 €/an), l’autre but, le principal, est de freiner l’actuelle dérive de ces pratiques devenant, dans une mesure de plus en plus large, purement commerciales.
 
 
Car s’il convient d’accompagner le développement de l’économie collaborative en recherchant toujours l’équilibre entre les divers intérêts en présence, les dérives observées doivent être combattues et c’est précisément ce à quoi s’attaque le législateur en visant les « zones tendues » : communes de plus de 200.000 habitants et petite couronne de Paris, dans lesquelles ces logements disponibles sur les plateformes sont désormais loués à l’année, sans encadrement du prix des loyers et, semble-t-il, de manière si lucrative qu’il devient impossible de trouver à se loger autrement… »
 
 
 
 
Des trompe-l'oeil qui masquent la désertification
Des trompe-l'oeil qui masquent la désertification

 

 
 
Dont acte, comme disent les juristes. La parole étant à présent donnée pour commencer (une fois n’est pas coutume) à la défense (des plateformes).
 

 

Vue depuis les plateformes…

 

 
 
« La crise du logement de longue durée en ville évoquée n’a rien de nouveau, rétorque pour sa part Alexandre Woog, président du groupe E-loue qui comprend entre autres la plateforme de locations sejourning. Fiscalité lourde, loyers trop encadrés, locataires ne payant pas etc., les raisons empêchant les propriétaires de louer sont connues depuis longtemps.
 
 
Ce type de décret en revanche, pris sans concertation, sous le poids des lobbies et contre la volonté des particuliers ne fait que retarder une évolution inévitable et… favorable ! (tarifs moins élevés, expérience différente, séjour en famille dans un seul logement)… Ces règles d’immatriculation ne peuvent que freiner les propriétaires souhaitant mettre leur appartement en location, au point que l’on constate déjà un ralentissement du marché.
 
 
Et puis, toutes les plateformes de location n’ont pas les moyens d’Airbnb. Une fois encore, ce sont les plus petits qui vont le plus souffrir, alors même que c’est aujourd’hui aux hôteliers d’évoluer, de s’adapter à ces nouveaux usages en mettant par exemple en place des services nouveaux et différenciants. Au final, nos locations favorisant largement le tourisme, le manque à gagner sera bien plus élevé pour les communes que ce que leur rapporteront les taxes de séjour et autres revenus issus de la location ».
 
 
 
 
Sejourning : une plateforme française de location type Airbnb
Sejourning : une plateforme française de location type Airbnb

 

 
 
 
 
Un point de vue que ne partagent pas nombre de professionnels de l’hébergement. Dont Marc Léonard, hôtelier à Annecy et Lyon, très investi dans sa branche et administrateur de la plateforme Fairbooking, alternative salutaire à la mainmise de Booking.com sur le marché de la réservation en ligne.
 

 

Vue d’en face…

 

 

Marc Léonard explique : « Au-delà même de la prise en compte d’intérêts et de points de vue divergents propres à tout marché ouvert à la concurrence, il faut analyser la situation pour ce qu’elle est. Qu’une évolution globale de la consommation amène la location de particuliers à particuliers à faire son chemin dans notre paysage, c’est acquis et il n’y a rien à redire à cela. Rien, sinon que ce que l’on observe, depuis maintenant 2 ou 3 ans, se situe à l’opposé exact des valeurs de partage, d’hospitalité et d’humanisme portées par les plateformes de location à leurs débuts. 
 
 
Fairbooking, la réservation en direct

 

 
 
Financiarisation et industrialisation du procédé sont désormais la règle et l’on voit à présent partout des groupements d’investisseurs acquérir le maximum d’appartements des centres-villes pour les mettre à la location tout au long de l’année. Là où les autres catégories de professionnels (et ces structures en sont devenus !) : campings, hôtels, chambres d’hôte… avancent chaussés de plomb par la législation, les plateformes de location tracent leur chemin libres comme l’air, sans réglementation, charges, normes ou même standards à respecter ! 
 
 
C’est un premier point qui appelle naturellement équilibrage : soit on allège nos charges, soit on augmente les leurs. C’est indispensable. Et pas uniquement, tant sans faut, pour des raisons de concurrence déloyale. Car il y a bien plus grave ».
 
 
 

La mort des centres-villes ?

 

 

Marc Léonard explique : « Parce qu’au-delà de cette querelle sur la forme, l’aspect essentiel du problème, c’est la conséquence sur la réalité de ces pratiques : le fond. Et il est dramatique ! Des dizaines de milliers de Vénitiens étaient l’autre jour descendus dans la rue pour protester contre la privatisation du centre-ville, devenu une sorte de Disneyland, uniquement peuplé de… touristes ! On est très loin des idées d’échanges culturels, de la « rencontre » et du « vivre comme un local » des débuts. Même les commerces traditionnels ferment à présent leurs portes pour laisser place à des échoppes dédiées aux seuls touristes.
 
 
 
Les Vénitiens manifestent contre la désertification de leur centre-ville
Les Vénitiens manifestent contre la désertification de leur centre-ville

 

 
 
 
Et les Parisiens pourraient faire comme les Vénitiens : le quartier du Marais est devenu un « parc à touristes » du même genre, de nombreux immeubles ne comptant plus que 20% à 30% de « vrais » habitants. De quels échanges humains est-il question ? (fini depuis longtemps le petit propriétaire qui vous accueillait). Quelle identité culturelle les villes vont-elles conserver quand on sait que celle-ci est donnée par ses habitants et non par ses immeubles ? 
 
 
Barcelone, New-York, Londres, Berlin… partout la sonnette d’alarme est tirée : cette pratique – très lucrative ! – est tout bonnement en train de tuer les centres-villes : plus de familles, plus de jeunes, plus de gens « normaux », tous incapables de suivre financièrement. 
 
 
Résultat : une augmentation moyenne des loyers de l’ordre de 3% par an ! Au point que même les restaurateurs qui finissent le soir à des heures indues, épuisés, ne trouvent plus à se loger près de leur restaurant dans les zones touristiques. Seuls demeurent de vieilles personnes inamovibles, entraînant un vieillissement dramatique des centres-villes (chiffres à l’appui). Centres-villes qui deviennent des zones de non-vie, dénaturées menaçant sur un terme assez court l’attractivité même des zones touristiques qui les accueillent. Rien qu’à Annecy, le phénomène se fait sentir. Annecy ! »
 
 
 
 
Dans le Marais, à Paris, certains immeubles n’hébergent plus que 20 à 30% de “vrais habitants”
Dans le Marais, à Paris, certains immeubles n’hébergent plus que 20 à 30% de “vrais habitants”

 

 
 

Affaire à suivre…

 

 

« Alors, oui, pour endiguer ce phénomène destructeur, les hôteliers qui ont déjà à supporter mille choses : taxes, charges, apprentissage… voient forcément l’arrivée de ces lois d’un bon œil : 120 jours, ce n’est pas mal, mais 90, ce serait mieux, plus juste. 23.000 € de plafond, c’est un début. Problème : il concerne très peu de personnes ; il faudrait donc diviser par deux : 12.000 €. En un mot, il faut continuer et aller plus loin. Et la réalité, j’en suis malheureusement convaincu, nous donnera vite raison de ce côté
 
 
Sachant qu’il nous faut par ailleurs nous battre contre des centrales de réservation du style Booking qui prennent, c’est le moins que l’on puisse dire, des marges très significatives.
D’où la création de Fairbooking » 
 
 

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