À l’image de notre société, le tourisme opère une mutation profonde dont le fonctionnement en réseau est le principe actif. Avides de lien social, d’authenticité et d’enrichissement, nos contemporains sont en train d’inventer une nouvelle forme de tourisme, basée sur la rencontre et les échanges…
Ce que le consommacteur du XXIème siècle ne trouve pas en rayon, il le crée lui-même. Et le met à disposition sur internet, cette formidable machine à créer du lien. Le logement chez l’habitant (gîtes) a ainsi augmenté de 30% en quelques années. Airbnb et les sites d’échanges d’appartement ont révolutionné le concept même d’hébergement et les réseaux de logement gratuit style Couchsurfing débouché sur le phénomène mondial des Greeters, ces bénévoles qui font découvrir leur ville aux visiteurs.
Quelques chiffres permettent de mesurer l’ampleur du phénomène. Côté technique, 95% des Français choisissent désormais leurs voyages et loisirs sur internet et ils sont plus de 80% à finaliser (réserver ou acheter) via ce même réseau. Côté motivation, le désir de rencontres et d’échanges avec les populations locales ne cesse de croître (76% en 2013 contre 58% en 2002) tandis que « le sens et l’enrichissement » à donner à ses voyages notamment via un « apprentissage » est devenu la dimension essentielle (95% des personnes interrogées).
Ce que recherchent nos contemporains ? « De l’émotion, de l’enrichissement et des rencontres » explique le sociologue Jean-Paul Kaufmann. Ce qu’appliqué aux voyages, la Directrice des guides Lonely Planet, Frédérique Sarfaty, résume ainsi : « Ce qui intéresse le voyageur actuel, c’est de passer de bons moments avec des gens autour de ses passions personnelles ».
Le greeting représente certainement la plus belle innovation en la matière. Tout a commencé dans notre pays en 2007, lorsque la Nantaise Sylvie Huron rentre de New York emballée par l’expérience du greeting qu’elle y a vécue et décide de lancer ce mode d’accueil en France. Avec quelques amis, elle crée un mini site internet en se disant « On est dingues ! Ça ne marchera jamais... ». Bien au contraire, les internautes accrochent et, très rapidement, de deux visites par mois, l’équipe nantaise passe à plusieurs dizaines, puis centaines de guidages personnalisés. Les autres villes entrent alors en contact avec la jeune femme et le phénomène « Greeters », déjà présent dans sept pays, aborde en 2009 sa phase « effet boule de neige ».
Il faut dire que les avantages du greeting sont évidents : gratuit et convivial, ce mode d’accueil est avant tout personnalisé à l’extrême, guide et programme étant choisis avant la venue du visiteur en fonction de ses centres d’intérêt (focus sur l’architecture, la culture urbaine, les petits producteurs ou coins insolites, etc.) auxquels s’ajoute, bien sûr, la dimension essentielle de la rencontre. « Le greeting, explique Sylvie Huron, c’est avant tout le plaisir de la rencontre et du partage. Bien sûr, cela réclame un vrai travail de préparation, mais tous les greeters vous le diront : les surprises liées à chaque guidage et la joie d’un visiteur comblé constituent un salaire fabuleux ».
Car on peut être bénévoles, on n’en est pas moins pro. D’autant que le greeting, excellent pour les territoires en termes d’image, est massivement soutenu (financièrement, logistiquement comme en termes de formation) par les organismes territoriaux de promotion touristique ravis de « la mise en réseau de ces nouvelles forces vives ». Ainsi, depuis le lancement en 2006 de son opération « Maintenant, le guide, c’est vous », la Seine Maritime a recruté près de 10.000 « ambassadeurs » qui transmettent aux visiteurs leur amour du pays. Ceux de Lyon sont devenus une véritable force commerciale présente sur les salons professionnels et proposant du greeting en plus de 10 langues, dont le japonais et… la langue des signes ! Sur le site d’accueil de l’Auvergne, ce sont 17 « passionnés passionnants » qui ouvrent les diverses thématiques : rando, vélo, gastro…
NB : les greeters sont aujourd’hui rassemblés au sein de la fédération Greeters de France.
Car il ne faut pas oublier que, derrière la rencontre, c’est « l’enrichissement personnel » à travers l’assouvissement de ses propres passions qui est recherché. Or, il existe en France des milliers d’experts passionnés proposant autant d’activités : découverte de la faune, cueillette et cuisine sauvage, pêche, vin, apiculture, pratiques sportives, artisanat, loisirs créatifs en tous genres… Autant de prestataires individuels qui touchent leur public-cible directement via la vitrine internet ou en s’enregistrant - entre autres - auprès des distributeurs de coffrets-cadeaux. En toute discrétion, Nature & Découvertes est ainsi devenu le leader des « sorties nature » (40.000 par an) encadrées par des passionnés (apiculture, ornithologie, champignons, survie, etc.).
Et là aussi, les destinations les plus agiles (Barcelone, l’Autriche, la Thaïlande…) surfent sur la vague montante de ce tourisme dit « créatif ». « Vivez votre passion à Paris ! » clame la capitale en répertoriant en ligne toutes les activités proposées par ses passionnés. Quant à la Seine-Saint Denis, dont les charmes touristiques ne sautent pas aux yeux, elle entraîne chaque année près de 10.000 personnes à la rencontre des « gens d’ici » : artisans, grapheurs, créateurs de mode, entrepreneurs & Cie.
Naturellement, il ne s’agit pas de généraliser : les hôtels-clubs ont encore de beaux jours devant eux. Mais considérant que la tranche dite des « créatifs culturels » représente déjà plus de 35% de la population, ne cesse de croître, et regroupe les personnes qui justement ne supportent plus le tourisme de masse, on peut estimer que ce nouveau tourisme à visage humain n’en est qu’à ses balbutiements…
Aller + loin : http://www.greeters.online/accueil/