À cheval sur son hélicoptère, appareil à la ceinture prêt à dégainer, on ne présente plus Yann Arthus-Bertrand dont les photos aériennes ont fait le tour du monde. De livres en films, cet amoureux de la nature nous redonne à voir le monde depuis là-haut, basculant la perspective à la verticale pour notre plus grand émerveillement. Son dernier projet, « La Catalogne vue du ciel », est à l’image de son travail, une réappropriation d’un territoire que l’on croyait connaître et qui se révèle aussi multiple qu’inattendu, découvrant les terres aquatiques du delta de l’Ebre, révélant l’inextricable anomalie géologique des aiguilles de Montserrat et parcourant les champs d’olivier, de vigne, d’amandiers, tel un orfèvre agronomique…
Tout a commencé par une rencontre, symptomatique de l’envie des Catalans de mieux faire connaître un territoire au-delà de Barcelone et de sa pimpante Costa Brava. Certes, la cité du Barça est un joyau d’architecture et ce n’est pas Yann Arthus Bertrand qui dira le contraire, lui qui reste marqué à jamais par son survol de la Sagrada Família, cette impressionnante basilique inachevée qu’Antoni Gaudi réussit à ériger en symbole de l’art nouveau catalan… Toutefois, Barcelone n’est pas toute la Catalogne, quelques 7,5 millions d’habitants et 320 000 kms qui s’étendent des Pyrénées au delta de l’Ebre, du Cap de Creus (terre de Dalí !) au Cap de Tortosa, et dont l’intérieur des terres reste encore méconnu, entre Lleida, Solsona, et un nombre impressionnant de parcs naturels à l’image du parc de Montsant.
Il ne faudra pas moins de trois voyages à Yann Arthus-Bertrand pour réaliser l’ensemble de son projet, tant les terres de Catalogne méritent d’être vues et revues. Il réalise un premier voyage en novembre 2006, revient sur place à l’automne 2011, et parachève l’ensemble au mois d’août 2013, ce qui lui permet également de jouer sur les saisons et les couleurs du temps. A la clef, un livre, un film, et une exposition itinérante, qui a déjà fait une petite incursion en France en mai dernier, un agrégat de cubes photos posés sur la place de la République, au cœur de la ville de Lyon. Pour l’heure, les cubes sont à Barcelone, dans les jardins du Palau Robert qui appartient à la Generalitat de Catalunya, ils passeront ensuite par Lleida en mai et juin, mais il n’est pas impossible que deux ou trois villes françaises les retrouvent d’ici la fin 2015. Un morceau de ciel de Catalogne à suivre donc…
L’ouvrage, qui n’est pas encore commercialisé en France mais le sera sous peu… dévoile plus d’une centaine de ces clichés accompagnées des textes du sociologue Ramon Folch, grand connaisseur de la Catalogne. Grâce à ses commentaires particulièrement éclairants, on découvre combien l’œuvre d’un jeune architecte catalan, Josep M. Jujol, a pu influencer un Antoni Gaudí. Ainsi, le sanctuaire consacré à la Mare de Deu de Montserrat de Montferri, immortalisé dans sa gangue de béton sur la Costa Daurada, hommage aux fameuses aiguilles éponymes, est l’illustration du génie de Jujol, qui savait transformer en œuvre d’art toute sorte de matériau de démolition, à l’image également des bancs ondulants du Park Güell, décorés à base de céramique cassée et de culs de bouteille éventrés.
C’est toutefois dans son hymne à la nature et à l’écologie que le livre est le plus éloquent, à l’image des salines de la Trinitat du delta de l’Ebre, où un jeu de triangles et losanges roses violacées avancent vers une mer bleue. Des salines roses ? A nouveau, Roman Folch nous décrypte le cliché du maître, expliquant que lorsque l’eau devient très salée et chaude, une bactérie aime à y prospérer, une espèce du genre Halobacterium qui produit un pigment rosé capable de capter l’énergie de la radiation solaire. Un peu d’eau froide, moins de sel, et fini les étendues rosées sous le ciel. A l’autre extrémité du territoire, la Clua d’Aguilar nous donne à voir le dernier barrage construit en Catalogne, celui de Rialb, sur le fleuve Segre, dont la construction n’a pas été sans tensions avec les habitants locaux qui y ont perdu de vastes surfaces agricoles. A la Clua d’Aguilar, pittoresque village, la plupart des champs ont été engloutis sous les eaux…
Ainsi va la Catalogne, qui se dévoile au gré des pages et des mots, un petit pays mais très divers où « dans la même journée, on peut skier, aller à la plage ou se promener dans une vaste plaine ». Interrogé sur l’image qu’il gardait de la Catalogne, Yann Arthus-Bertrand répondit : « Les espaces protégés ont particulièrement attiré mon attention, car j’ai pu constater avec plaisir qu’ils sont nombreux. Cette région affiche un paysage dur et sec, très beau et plus sauvage que ce que j’imaginais… ».
En fin d’ouvrage, un DVD permet d’appréhender sous forme de vidéo cette réalité contrastée du territoire. On s’envole alors des hauteurs des Pyrénées, on redescend dans les plaines, vers les côtes, jusqu’aux tours de béton voire jusqu’aux tours humaines érigées par les Castellers, pyramides humaines de plus de dix étages auxquelles peuvent participer pour leur éphémère construction jusqu’à 300 personnes. Patrimoine de l’Humanité depuis 2010, elles sont perçues par les Catalans comme partie intégrante de leur identité culturelle.
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