La grande mutation numérique replaçant l’individu au cœur de l’économie fait évoluer les pratiques du voyage suivant des formes inattendues, inventées et popularisées par les voyageurs eux-mêmes. De la même façon que grâce à internet, chacun peut devenir aujourd’hui hébergeur ou chauffeur, il peut également devenir guide ou prestataires d’activités…
« Des rencontres et du sens ! » répond le sociologue Jean-Paul Kaufmann. Le désir de « rencontres et d’échanges avec les populations locales » ne cesse en effet de croître : 76% des voyageurs interrogés en 2013 contre 58% en 2002, tandis que « le sens et l’enrichissement » à donner à ses voyages notamment via un « apprentissage » est devenu la dimension essentielle du voyage pour 95% des Français interrogés. Et comme celui-ci n’est plus l’expédition un peu effrayante de jadis nécessitant l’intervention d’un vrai professionnel (3 Français sur 4 voyagent régulièrement), ce dont les gens avaient envie, grâce à internet, ils l’ont mis en place… tout seuls.
Ainsi que le résume fort bien Frédérique Sarfaty, directrice des guides Lonely Planet : « Ce qui intéresse le voyageur, aujourd’hui, c’est de passer de bons moments avec des gens autour de ses passions ». Raison pour laquelle les greeters, ces milliers de guides bénévoles proposant des découvertes thématiques de leur région au visiteur, connaissent un tel succès partout dans notre pays, raison pour laquelle également les collectivités locales mettent, elles, en avant sur leurs sites internet leurs prestataires les plus passionnés, qu’il s’agisse de cuisiner des plantes sauvages, de découvrir la faune ou de s’initier à l’apiculture. Car cela répond directement à la demande du public. Ainsi, sur le site du département de la Nièvre, une douzaine de guides nature décrivent les activités qu’ils proposent. Une démarche venue « en réponse à ce que nous demandent les visiteurs sur les salons », raconte Caroline Liguay du Comité Départemental du Tourisme, qui poursuit : « le déclic est immédiat : tous veulent retrouver ces passionnés-là ! ».
Son programme, le voyageur le concocte désormais via internet, en suivant les conseils des autres internautes et d’eux exclusivement. Car, dans le modèle C2C (du consommateur au consommacteur) né sur la toile, seul l’avis de ses pairs est reconnu : publicité, communication, discours institutionnel ne trouvent plus grâce aux yeux du consommacteur averti. Pas un hasard si Tripadvisor, site entièrement construit sur l’expérience des voyageurs, est numéro 1.
Son programme une fois choisi, le voyageur se met directement en contact avec les prestataires de service qui l’intéressent (l’une des conséquences majeures du passage à internet étant de raccourcir considérablement la chaîne des intermédiaires). Des acteurs locaux (restaurateurs, hébergeurs, artisans, guides, prestataires…) qui, de leur côté, pour gagner en visibilité, adoptent eux-mêmes le fonctionnement en réseau, dépassant la concurrence et se fédérant pour créer des circuits thématiques : « Menus curieux » par ici, « Carnet de jardins » par-là, réseau « Rando ou Vélo Accueil » partout en France... Autant d’initiatives connaissant un succès considérable.
C’est d’ailleurs de cette manière que la Picardie, relativement pauvre en matière de hauts lieux touristiques, a démultiplié sa fréquentation, devenant il y a cinq ou six ans un cas d’école enseigné depuis dans la filière touristique : grâce à un site collaboratif auquel tous les habitants participent. Ainsi y a-t-il toujours quelqu’un pour mettre en face de la demande particulière du visiteur l’adresse et le programme spécifique qu’il recherche. Faire coïncider l’offre et la demande étant, depuis toujours, le secret du commerce, on comprend que la recette ait eu du succès et soit copiée…
Ainsi donc, en quelques années et grâce au LIEN internet, le tourisme, cet art d’emmener des hommes vers d’autres hommes vivant ailleurs, qui fut longtemps l’affaire de quelques professionnels, est-il devenu celle de tous. Et de chacun.