À bord du mythique Bou el Mogdad, un cargo des années 50, on quitte les rives de Saint- Louis pour remonter le cours du fleuve Sénégal jusqu'à Podor et ses anciens comptoirs coloniaux. On embarque pour une navigation inédite.
Amarré au quai Roume, à l’ombre des fromagers, le navire attend paisiblement ses passagers. Le Bou el Mogdad est une légende. Sa carrière débute en 1950 sur le Sénégal. Pendant vingt ans, il assure le transport de marchandises et des hommes entre Saint-Louis et le Nord du pays. La construction d'une route précipite sa déchéance. Il passe quelques années à rouiller, d’autres à faire des croisières en Sierra Leone et sur le Siné Saloum. Grâce à Jean-Jacques Bancal, le bateau reprend du service en 2005 entre Saint-Louis et Podor après avoir reçu une cure de jouvence à Dakar. 25 cabines, une piscine, le voilà prêt pour accueillir les voyageurs. Pas tout à fait.
« Pour respecter la tradition, explique son propriétaire, nous avons fait des offrandes à Mama Coumba Bang, la déesse du fleuve. Devant l’équipage et la population massée sur le quai, on a jeté dans le courant du lait caillé, des biscuits et du sucre afin d’éloigner le mal du bateau. »
On largue les amarres. Cap sur Podor à six jours de là. Le bateau commence à remonter le fleuve qui marque la frontière entre la Mauritanie à bâbord et le Sénégal à tribord. Sur les rives défilent les cases en banco (terre séchée), les plantations de manguiers et les rizières. Les pieds dans l’eau, des femmes lavent leur linge tandis que des pêcheurs sur leurs pirogues jettent les filets.
Ceux-là, le commandant Mamadou Goudiaby ne les aime pas : « Pour montrer leur bravoure ou pour mettre un peu de piment dans leur journée, ils s’amusent à nous couper la route. »
À part ça, la vie de Mamadou est un long fleuve tranquille. Il peut mouiller où il veut sans craindre de gêner. Il ne risque pas de croiser un autre bateau, le Bou comme on l’appelle familièrement est le seul à naviguer. Une clochette résonne soudain. C’est le barman Petit Ba qui l’agite pour annoncer que le bar est ouvert. Aussitôt, les passagers sortent de leurs cabines, s’emparent d’un cocktail et se calent sur le pont pour admirer le coucher du soleil.
Chez les pélicans
Avant d’obliquer plein est, le Sénégal longe le parc national des oiseaux du Djoudj. C’est la troisième réserve ornithologique du monde. Trois millions d’oiseaux migrateurs s’y arrêtent pour se reposer après la longue traversée du Sahara. Le Bou fait aussi escale. Après un bref trajet en voiture jusqu’à la zone marécageuse, on saute dans une barque pour s’aventurer à travers les canaux. Il y a du monde dans la volière !
À gauche un cormoran atterrit en douceur sur un tapis de nénuphars roses, à droite un balbuzard pêcheur chope entre ses serres un poisson distrait, dans le ciel des sternes virevoltent, se moquent des pélicans lourdauds. Ces palmipèdes aiment à s’entasser par milliers sur une île, la bien-nommée île des pélicans. Odeur âcre de la fiente. Tous sont là pour couver leurs œufs, les mâles comme les femelles. Quand l’un pêche, l’autre couve. C’est le partage des tâches. Madame Pélican a depuis longtemps cloué le bec de monsieur Pélican.
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