Au Rajasthan, il existe une communauté indienne qui a trouvé comment cohabiter avec l'un des prédateurs les plus redoutables du pays, le léopard.
En Inde, les conflits entre les hommes et les léopards sont de plus en plus nombreux car l’habitat de ces derniers diminue au profit de zones de plus en plus peuplées. Mais il existe un endroit unique où la situation est extraordinairement différente. Ce qui étonne le voyageur en premier lieu, c’est que Bera n’est ni un parc national ni une réserve protégée. C’est une petite région dans le nord-ouest de l’Inde où se succèdent des villages, leurs habitants et leurs troupeaux. Pas vraiment le lieu habituel pour les grands prédateurs. Pourtant, ce petit coin rural niché dans les collines des Aravalli, entre les hauts lieux touristiques d'Udaipur et de Jodhpur, abrite la plus grande concentration de léopards du monde.
Une cinquantaine de léopards vivent ici au milieu des blocs rocheux dominant quelques champs et broussailles épineuses du désert. La présence des léopards est directement liée à une relation unique avec les villageois. Les Rabari sont une caste tribale d'éleveurs et de bergers semi-nomades, fervents hindous, particulièrement fidèles au dieu Shiva, reconnaissable à sa peau bleue, son chignon noir et vêtu d'une peau de léopard.
A priori, on peut se dire que l’Inde est à l’image de ses croyances et que ses habitants suivent le principe de l' « ahimsa », ou non-violence. Pourtant, si le nombre de léopards a augmenté, environ 14 000 dans tout le pays, les conflits entre humains et léopards ont également augmenté. L'association Wildlife Protection Society of India a déjà enregistré plus d’une centaine de léopards tués cette année. Le plus souvent braconnés pour le commerce illégal de parties du corps destinées à la fabrication de médicaments et d'aphrodisiaques ou tués par des villageois par peur ou en représailles des attaques contre le bétail.
À Bera, l’attitude de l’homme face aux léopards est différente. Si occasionnellement, les félins tuent un veau, une chèvre ou un mouton, les villageois vont réclamer la modeste compensation que leur verse le Département National des Forêts. Certains ne vont même pas demander leur dû. Quand ils perdent du bétail, ils le voient comme une offrande au dieu Shiva. Au-delà de l’explication spirituelle, le comportement des humains est aussi pragmatique. La présence des léopards est la bienvenue dans la région pour éloigner certaines espèces des cultures de coton, blé ou moutarde, notamment les antilopes nilgai, les sangliers ou les gazelles indiennes, chinkara.
On voit souvent, à la une des journaux indiens, des faits divers relatant des personnes tuées ou blessées par des léopards. À Bera, malgré la forte concentration de léopards, il n'y a pratiquement pas eu d'attaques contre les habitants depuis plus d’un siècle. Ici, les léopards ont une toute autre considération des êtres humains, ils ne les voient pas comme des proies mais comme des menaces et ils se gardent bien de venir les attaquer. Cette situation extraordinaire de compréhension mutuelle est unique.
Le comportement des léopards à Bera est différent que dans le reste de l’Inde. Généralement solitaires, on peut parfois les voir par petit groupe de quatre à cinq. Leur lieu de prédilection se situe près d’un petit temple, dans une grotte attenante. Chaque soir, les villageois montent avec des offrandes sans se soucier des léopards rodant autour d’eux. Les félins sont paisibles, dominants depuis leur rocher d’observation, indifférents aux hommes et aux trois jeeps en contrebas. Notre guide nous rappelle tout de même que notre présence ne doit pas nuire à l’harmonie entre les Rabari et les léopards. Il nous lance un proverbe local : « Le jour appartient aux humains, mais la nuit appartient aux léopards. »
Le tourisme est encore discret, surtout en comparaison avec d’autres parties du Rajasthan à proximité. Les villageois travaillent dans les quelques hébergements, notamment les femmes qui quittent leur foyer et gagnent pour la première fois un revenu. Les hommes sont pisteurs et alertent les hôteliers pour les départs en jeep si les léopards se montrent. Mais comme toujours, si le développement touristique prend de l'ampleur trop rapidement, il oublie d’être raisonné et équitable. La grande industrie hôtelière fait tout pour s'implanter dans ce nouveau spot touristique. « Il faut dire qu’ici les chances de voir un léopard sont de 90% » précise notre guide.
Les Rabari sont préoccupés de l’impact touristique à venir sur leur culture, leur environnement et inévitablement sur les léopards. Ils font campagne depuis quelques années pour que leur région soit classée « réserve communautaire », assurant une réglementation stricte et des retombées économiques directement dans les mains de la communauté. Notre guide nous précise : « Pour l’instant, on voit 4-5 jeeps de touristes dans les environs par jour pour observer les léopards, mais ça peut très vite devenir fou. Il y a également les constructions de nouveaux hôtels qui peuvent se faire n’importe où, près des rochers, au plus près des léopards. »
Bera ne veut pas faire les mêmes erreurs que d’autres zones protégées du pays. Un projet de conservation de la faune sauvage sans la participation des communautés locales est voué à l’échec. La région s’est déjà battue pendant deux ans contre un projet minier qui aurait alors mis un terme à la présence des léopards. Rien n’est trop impossible pour sauver les grands félins d’Inde. Et Bera deviendrait ainsi un exemple pour le monde entier de la coexistence entre l’homme et l’animal !
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