Le 25 août 1954 naissait Bruno Manser. Pendant 15 ans, le Suisse s’est engagé corps et âme contre la déforestation et pour les droits du peuple Penan de la forêt de Bornéo, en Malaisie. Il y a 20 ans, il disparaissait lors de son dernier voyage au Sarawak.
Il est difficile de résumer la vie de Bruno Manser, de le faire rentrer dans une case : aventurier, idéaliste, écologiste, artiste, pionnier, activiste, anthropologue, ethnologue, sans aucun doute humaniste. Ce jeune Bâlois parti vivre dans la forêt pluviale de Bornéo s’est fait adopter par les Penan avant d’en devenir le plus grand défenseur et le porte-parole.
En 1984, à l’âge de 30 ans, ce berger suisse décide d’aller vivre en pleine forêt du Sarawak, dans la partie malaise de l’île de Bornéo. Il n’a qu’une idée en tête : vivre une vie simple en harmonie avec la nature, loin du monde moderne et de la civilisation contemporaine.
Il est accueilli par les Penan, un peuple de chasseurs cueilleurs, derniers nomades au monde vivant dans la forêt pluviale. Bruno est fasciné par ce retour à un mode de vie originel. Il s’intègre complètement à leur communauté et devient « Laki Penan », l’homme Penan. Il parle la langue, mange du sagou, une fécule extraite de la pulpe du tronc du sagoutier, apprend à chasser avec des sarbacanes et des flèches empoisonnées. Seule sa paire de lunettes le distingue des autres membres.
Il devient un témoin privilégié, observateur de la faune, de la flore et de la culture de ce peuple lié à la forêt. La déforestation à outrance menace gravement leur habitat, leurs ressources et l’écosystème régional. Pendant toutes ces années sur place, il est aux premières loges du drame qui se déroule. Il décrit la résistance des Penan, à travers dessins, enregistrements, notes et plus de 10 000 photos.
Ni le gouvernement malais, ni les entreprises ne veulent alors négocier avec les tribus. Les sommes d’argent issues du commerce de bois tropicaux sont juteuses et les autorités malaises corrompues ne sont pas prêtes à se priver de telles rentrées d’argent.
Vers la fin des années 1980, les Penan, avec l'aide de Bruno, luttent contre les entreprises forestières en bloquant pacifiquement les accès à leur forêt. Bruno s’attire la colère des autorités malaises et devient rapidement l’ennemi public numéro 1 en Malaisie. Sa tête est mise à prix à 50 000 dollars, mort ou vif. Après six années passées dans la jungle, il parvient à quitter la Malaisie sans se faire remarquer.
De retour en Suisse, le Laki Penan tente d’attirer par tous les moyens l’attention des médias internationaux sur cette réalité et ce peuple oublié. Avec l’aide de quelques amis, il fonde l’association Bruno Manser Fonds et publie le livre « Voix de la forêt pluviale ».
En 1993, c’est une grève de la faim qu’il entame de 60 jours devant le Palais Fédéral de Berne pour obtenir l’arrêt des importations de bois tropicaux et l’introduction d’une déclaration obligatoire de l'origine des bois importés.
Parmi ses actions spectaculaires, il tentera un saut en parapente sur les bâtiments de l’ONU à Genève et un survol en ULM au-dessus de la résidence du chef du gouvernement du Sarawak.
Livres, expositions, conférences, il passe son temps à sensibiliser et son engagement complet et sincère éveille un grand intérêt, tant en Suisse qu’à l’étranger. Il devient le défenseur légitime des forêts tropicales humides et des droits des peuples autochtones.
C’est lors d’un ultime voyage en mai 2000 pour retrouver les Penan qu’il disparaît, de manière toujours non élucidée. L’héritage de son engagement de terrain est désormais porté par le Bruno Manser Fonds.
Sur place, la situation n’est guère plus optimiste qu’avant. Aujourd’hui, il reste moins de 10% des forêts primaires au Sarawak. Au-delà des nouvelles menaces telles que les barrages et les monocultures intensives de palmiers à huile, les Penan font face à des problèmes de droits fonciers et de papiers d’identité. Leur territoire n’est pas reconnu, ils n’ont aucun droit sur leurs terres ancestrales.
Le Bruno Manser Fonds joue toujours un rôle primordial dans le combat des Penan. Certains droits importants sont en passe de leur être reconnus notamment grâce à la réalisation d’un long travail cartographique de la forêt et des tribus. Ces cartes permettent d'asseoir la crédibilité des Penan et leur offre une base de négociation solide.
Le film « Bruno Manser, la voix de la forêt tropicale », de Niklaus Hilber, sorti en décembre 2019 retrace le parcours de Bruno Manser, de la quête initiatique au combat politique.
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