Devenue le symbole en France des effets du réchauffement climatique en montagne, la Mer de Glace fait l’objet d’un projet touristique qui questionne le rôle de ce site emblématique et son avenir.
En France, la Mer de Glace est l’un des lieux touristiques où le changement climatique est le plus visible. Mais depuis 1991, le glacier le plus long du pays fond à grande vitesse. Au niveau de la gare d’arrivée du train du Montenvers, il a reculé de 800 mètres et a perdu plus de 100 mètres d’épaisseur. Ces deux dernières années, la fonte s’est même accélérée. Certaines modélisations indiquent que le glacier ne sera plus visible depuis le site du Montenvers en 2050. Mais la fréquentation ne faiblit pas, et le tourisme constitue une manne financière indispensable dans la vallée de Chamonix.
Depuis le début du mois de février, il est possible de rejoindre le glacier de la Mer de Glace grâce à une nouvelle télécabine ! Deux fois plus rapide que l'ancienne, avec plus de capacité, elle parcourt environ 200 mètres de dénivelé en deux minutes. À l'arrivée, les visiteurs n’ont qu’une centaine de marches à descendre contre 600 auparavant pour atteindre la grotte de glace située dans les entrailles du glacier.
Attraction très attendue par les visiteurs venus des quatre coins du monde, on y accède en empruntant le mythique petit train rouge à crémaillère qui part de Chamonix pour rejoindre la gare du Montenvers, à 1913 mètres d’altitude, puis par la nouvelle télécabine menant au pied du glacier. Le paysage est de plus en plus gris pourtant la Mer de Glace est toujours là, sous la couche de roches et de débris, encadrée par les sommets des Drus et des Grandes Jorasses.
La Compagnie du Mont-Blanc (CMB), qui exploite le site du Montenvers, défend depuis plusieurs années ce projet pour redynamiser le lieu avec plusieurs objectifs : protéger et faire découvrir un patrimoine, informer et sensibiliser les visiteurs sur le changement climatique et son impact sur la Mer de Glace, améliorer la qualité de l’offre de services touristiques en termes d’accessibilité, pour que les personnes âgées et les enfants puissent venir jusqu’au pied du glacier qui, chaque année, se rejoignait avec des marches supplémentaires.
A cette nouvelle télécabine s’ajoutent d’autres projets dont l’ouverture d’un “glaciorium”, un musée invitant chaque visiteur à une expérience immersive autour des glaciers et de leur histoire, qui se situera également au pied du glacier. La CMB parle de « témoignage » vis-à-vis de la catastrophe climatique, de pédagogie et de lieu de mémoire. Les défenseurs de la montagne, eux, parlent d’une course au profit et d’une grande hypocrisie pour justifier ces nouvelles infrastructures sur un site déjà fragilisé.
Avec 450 000 visiteurs par an, la Mer de Glace attire toujours du monde et aussi paradoxal que cela puisse paraître, continue à être une source d'émerveillement. Voir le glacier avant qu’il ne disparaisse participe à une étrange forme de tourisme appelée tourisme de la dernière chance. Cette nouvelle habitude de voyage évoque notamment les croisières naviguant aux pôles pour observer un monde gelé qui fond et sa faune sauvage en danger.
Emmanuel Salim, maître de conférences en géographie à l’université Toulouse-II Jean-Jaurès, qui a particulièrement étudié la Mer de Glace, explique dans ses travaux que le tourisme sur les sites menacés a certaines vertus. Le site touristique du Montenvers présente un intérêt mémoriel et pédagogique, rejoignant ainsi les mots de la CMB.
Le projet pourrait devenir un lieu de transmission et qu’à travers l’émotion, ou la stupéfaction qu’il suscite, ancrerait chez le visiteur la conscience du changement climatique.
- Emmanuel Salim